Comment la Méditerranée ferait face à une marée noire

L'épave de l'Amoco Cadiz dépasse encore des flots. La marée noire commence à s'étendre.
L'épave de Amoco Cadiz

Il y a quatre décennies, le 16 mars 1978, se produisait le long des côtes françaises, la pire marée noire que l'Europe ait connue et l'une des plus grandes catastrophes écologiques de tous les temps. 
En panne d'appareil à gouverner alors que la tempête fait rage (vents de force 8 à 10 et creux de 8 mètres), le pétrolier libérien Amoco Cadiz s'échoue sur des récifs de la côte bretonne, non loin du village de Portsall, et répand sa cargaison de 227 000 tonnes de pétrole brut, sur près de 340 km de côtes. 

Symboles de ce drame dont les images vont marquer à tout jamais les esprits, des dizaines de milliers d'oiseaux de mer périssent, englués dans cette masse sombre et visqueuse, tandis que 7 500 sauveteurs resteront mobilisés pendant de longues semaines pour tenter de nettoyer les 90 sites les plus touchés.

L'Amoco Cadiz allait surtout constituer un électrochoc

Toute l'industrie ostréicole et conchylicole locale, mais également la pêcherie et le tourisme pâtiront pendant des années des conséquences de l'accident et il faudra près de sept ans pour que les dernières traces de la catastrophe s'estompent enfin. Mais l'Amoco Cadiz allait surtout constituer un électrochoc, en France et dans le monde, révélant les énormes failles de sécurité que connaissait à l'époque le transport maritime mondial, notamment celui des matières dangereuses ou polluantes. L'analyse des circonstances de l'accident devait en effet démontrer des manquements majeurs, à tous les niveaux de compétences et de décision, qu'ils soient privés, publics ou institutionnels. 

Car ce 16 mars 1978, les erreurs et contretemps vont en effet se multiplier, malgré l'urgence de la situation. Alors que le temps passe et que le supertanker de 334 m de long et 19,20 m de tirant d'eau, se rapproche dangereusement de la côte, son commandant a d'abord du mal à joindre Amoco, l'armateur américain du navire, basé à Chicago. Puis les négociations des contrats de remorquage s'éternisent et des désaccords apparaissent sur la façon d'extraire le navire de ce mauvais pas.

Des centaines de bénévoles se sont succédé pour faire face à la pire pollution qu'ont connue les côtes bretonnes.

Une mer, extrêmement fréquentée, très vulnérable

Sans compter les incidents techniques qui se succèdent, à commencer par la casse de trois remorques. De leur côté, les autorités françaises assistent impuissantes au drame qui se noue, forcées d'admettre que leurs moyens de secours maritimes sont largement sous dimensionnés, insuffisants ou indisponibles. Quant aux moyens d'observation et de communication, leur absence ou leurs piètres performances ne leur ont pas permis d'évaluer l'exacte dimension de la catastrophe ni de prendre les mesures d'urgence qui s'imposaient. 

Cette prise de conscience allait heureusement conduire à la mise en place, dès les années suivantes, de dispositifs spécifiques destinés à éviter qu'un tel événement ne se reproduise. Et même si, vingt ans plus tard, une nouvelle marée noire catastrophique consécutive au naufrage du pétrolier Érika, incitait les autorités à la prudence et l'humilité, les services de l'État aujourd'hui déployés en Manche et en Atlantique se disent en mesure de gérer efficacement une telle crise. Qu'en est-il plus au Sud, dans cette mer fermée, extrêmement fréquentée et donc particulièrement vulnérable qu'est la Méditerranée ?

C'est ce que nous avons demandé au bras droit du vice-amiral d'escadre Charles Henri Leulier de la Faverie du Ché, préfet maritime en charge de cette façade.

40 000 oiseaux noyés dans le pétrole

Les oiseaux marins ont été les principales victimes visibles du drame. Des images qui sont restées dans la mémoire collective.

La marée noire provoquée par l'Amoco Cadiz est aussi l'une des plus coûteuses. L'ensemble des conséquences financières de l'accident a, en effet, été évalué à près de 157 millions d'euros. Les quelque 227 000 tonnes de pétrole brut saoudien et iranien que le navire devait décharger à Rotterdam, auront souillé 340 kilomètres de côtes, détruisant 64 000 tonnes d'huîtres, interrompant les sorties en mer de 1 300 pêcheurs professionnels, et provoquant la mort de près de 40 000 oiseaux ; des volatiles le plus souvent englués dans les nappes d'hydrocarbures qui s'étalaient sur près de 250 000 hectares. Seules 15 000 t de pétrole seront récupérées sur le littoral, conduisant dans les déchetteries près de 45 000 t de sable et de rochers auxquels le brut était collé ou aggloméré. Le procès fait à l'armateur américain par l'État français et les 76 communes concernées, durera 14 ans et donnera lieu au versement d'une indemnité de 227 M€.


"Parce que le risque 'zéro' n'existe pas, la vigilance doit être maintenue" (Le commissaire générale, Thierry Duchesne, vice-amiral adjoint)

Quarante ans après l'Amoco Cadiz, des progrès indéniables ont été réalisés en matière de sécurité maritime, mais la Méditerranée française est-elle pour autant à l'abri d'une telle catastrophe?

Le CG Duchesne est un spécialiste de l'action de l'État en mer.Thierry Duchesne : Depuis 1978, les pouvoirs publics n'ont eu de cesse d'augmenter leur niveau d'exigences. Et la réglementation internationale est allée dans le même sens. Cela a permis notamment d'en finir avec les pétroliers à simple coque comme l'étaient l'Amoco Cadiz et l'Erika. Le dernier grand pétrolier de ce type a d'ailleurs été démantelé en 2015. Cela a permis aussi de mettre en place des contrôles portuaires très poussés et harmonisés au niveau européen. Reste le plus important qui est de prévenir les accidents de mer. Pour cela, le préfet maritime a mis en place différentes réglementations dont la principale a eu pour effet d'éloigner à plus de 7 milles (13 km) des côtes, les navires de fort tonnage. D'autre part, la France impose aux capitaines, sous peine de sanctions lourdes, de signaler tout incident ou accident de navigation survenant dans ses eaux territoriales ou sa zone économique exclusive (ZEE). 

Grâce à quoi, en cas de crise, le préfet peut prendre toutes les dispositions nécessaires. D'autant que le droit international lui permet d'agir dès qu'une menace pour l'environnement se fait jour dans la ZEE. Cette menace -un pétrolier victime d'une avarie, par exemple- fait alors l'objet d'une analyse approfondie, suivie de mises en demeure de l'armateur. On peut ainsi l'obliger à être escorté, à rejoindre un port, à quitter les eaux françaises ou encore à accepter des actions d'office de notre part. Un autre dispositif récemment mis en place concerne le canal de Corse où une séparation du trafic permet de prévenir le risque de collision entre navires de fort tonnage navigant entre l'île de Beauté et la Sardaigne. Enfin, pour surveiller, anticiper et agir au mieux, le préfet maritime s'appuie sur le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage de la Méditerranée (Cross Med) qui dispose d'un centre secondaire en Corse, ainsi que sur les 19 sémaphores de la Marine répartis le long du littoral. Et si, en Méditerranée comme sur les autres mers, le risque zéro n'existe pas, tout est fait pour le prévenir, en commençant par disposer des moyens d'intervention adaptés.

Quels sont ces moyens, où sont-ils positionnés et quels sont leurs délais d'intervention?

T.D. : Le préfet maritime dispose de trois navires dédiés à l'intervention en haute mer : le remorqueur d'intervention, d'assistance et de sauvetage Abeille Flandreet les bâtiments de sauvetage et d'assistance hauturier Jason et Ailette. Il s'agit de moyens lourds prépositionnés en permanence à la mer et capables d'intervenir rapidement loin des côtes. Le préfet peut également mobiliser des remorqueurs portuaires, en affrètement ou sur réquisition. Il peut aussi compter sur les moyens européens gérés par l'Agence européenne de sécurité maritime (EMSA). Tous sont susceptibles de mettre en oeuvre du matériel de lutte antipollution dont le stock principal se trouve sur la base navale de Toulon et le reste en Corse. Des exercices de lutte antipollution ont d'ailleurs lieu très régulièrement en mer. Le préfet maritime bénéficie aussi de l'appui du centre d'expertises pratiques de lutte antipollution (Ceppol) de la Marine nationale qui peut dépêcher ses experts sur les théâtres de pollution marine. Il peut compter d'autre part sur les experts militaires ou civils constituant l'équipe d'évaluation et d'intervention (EEI). En alerte 24 h sur 24, cette équipe peut être déposée par hélicoptère à bord d'un navire en difficulté. Enfin, toutes les administrations disposant de moyens aériens ou nautiques peuvent apporter leur concours. C'est le cas de la douane qui dispose d'aéronefs spécialisés dans la détection de la pollution marine.

La France et ses voisines coopèrent-elles en la matière?

T.D. : Une coopération spécifique a été mise en place au niveau régional. Elle s'est concrétisée dans les années 90 et 2000, par deux accords signés l'un avec l'Espagne (Lion plan) et l'autre avec l'Italie et Monaco (plan Ramogepol). Tous deux permettent de mutualiser les moyens de lutte et d'obtenir une harmonisation des procédures et une coordination des moyens. Des exercices interrégionaux ont d'ailleurs lieu chaque année. Ce fut le cas en octobre 2017 où des moyens antipollution français, italiens et monégasques se sont entraîné en rade d'Hyères. Ces entraînements vont de pair avec une politique de répression des rejets illicites développée par le biais d'opérations communes de détection et de répression. Ces opérations "coup de poing" baptisées Oscar Med sont réalisées annuellement avec des moyens français, italiens et espagnols, en complément de la surveillance quotidienne assurée par chaque État.

Combien de situations à risque se produisent chaque année et combien d'infractions relevez-vous ?

T.D. : Nous avons en moyenne une dizaine de cas d'assistance à navire en difficulté qui nécessitent la mobilisation d'une cellule de crise en préfecture maritime et l'activation de moyens. Les infractions sérieuses sont très faibles en nombre. C'est le résultat du travail du Cross Med et des sémaphores qui permet de les prévenir par contact radio avec les navires sur le point d'en commettre. Concernant les pollutions, il faut dissocier les simples reports de pollution, des pollutions confirmées nées d'un rejet illicite. Le nombre de reports est en nette hausse compte tenu de l'accroissement de nos moyens de recueil d'informations, tel le système de détection satellitaire européen Clean Sea Net. En revanche, le nombre d'affaires de rejets illicites est en baisse. Nous n'en avons eu aucune en 2017. Les opérations de surveillance ont porté leurs fruits mais la vigilance doit être maintenue. Nous y travaillons.

Par Philippe Gallini - Source de l'article Corse Matin

Aucun commentaire: