Union pour la Méditerranée : une question régionale ou européenne ?

Drapeaux des pays membres de l'Union pour la Méditerranée au Parlement européen

Composée aujourd'hui de 43 pays, l’Union de la Méditerranée promise par Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007, ne comprenait que les Etats géographiquement ouverts sur cette mer. 

Or l’Union pour la Méditerranée (UpM), lancée en juillet 2008, intègre bien les 27 membres de l’Union européenne (UE) de l’époque et vise à renforcer le partenariat Euromed, et non à le remplacer. Quelle est la logique derrière cette intégration des pays non riverains, et comment influe-t-elle sur l’action européenne dans la rive sud de la Méditerranée 

L’objectif d’une politique étrangère européenne

Pourquoi certains pays membres de l'Union pour la Méditerranée se trouvent à 1 000 kilomètres de cette mer qui fait office de frontière sud à l'Union européenne ? Cette question, Nicolas Sarkozy, à l'initiative de ce projet, devait se la poser également car dans sa première proposition, seuls les Etats européens riverains étaient impliqués.

Or cette conception n'était pas celle de nombreux Etats membres de l'UE, au premier rang desquels l'Allemagne. Inquiète de voir la France renforcer son rôle international au détriment d'une action commune de l'UE, Angela Merkel, alors en poste depuis 2005, fait également valoir qu'une implication financière de l'Union ne pourrait être possible sans participation effective des 27.

L'intégration de l'ensemble des pays membres de l'UE dans le projet d'Union pour la Méditerranée répond donc à l’objectif de donner à l’Europe une action extérieure commune, qui permettrait d’en faire un acteur international global. Le traité de Maastricht de 1992 consacre l’UE comme une entité politique et non plus comme une simple union économique. Depuis, elle a sans cesse proclamé sa volonté de se doter d’institutions diplomatiques supranationales (tels que le haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité), de renforcer l’unité dans l’action extérieure de ses Etats membres et d’établir des stratégies communes.

L’UpM suit également la logique de la politique de voisinage de l’UE, qui vise à renforcer la coopération entre l’Europe et les pays de son environnement proche qui ne sont pas concernés par des projets d’adhésion. A travers une coopération culturelle, commerciale et économique, l’UE souhaite inspirer des réformes de libéralisation et de démocratisation. Le but recherché est d’éviter de nouvelles lignes de divisions dans le voisinage européen en y amenant stabilité et prospérité.

Cette conception est aujourd’hui symbolisée par le fait que la présidence nord de l’UpM est bien assurée par l’UE en tant qu’entité unique, représentée par Federica Mogherini, l'actuelle haute représentante. En outre, fait non négligeable, la Commission européenne finance le secrétariat général de l’UpM à hauteur de 50%.

La présence des pays non-riverains dans l’Union pour la Méditerranée : un obstacle ?

Cependant, malgré cette volonté d’une action extérieure commune, force est de constater que l’intégration des pays du nord et de l’est de l'Europe n’a pas eu les effets escomptés. Peu enthousiastes dès le début du projet, ces pays voient leurs intérêts ailleurs et ont pu craindre que le projet ne conduise à un transfert de l’axe européen vers le Sud. C'est en tout cas l'opinion de Jacek Sariusz-Wolski, député européen polonais conservateur et ancien négociateur de l’adhésion de la Pologne à l’UE. "On a jusqu’à présent peu parlé en Europe centrale de ce projet, mais il soulève sans aucun doute la question de savoir si ce ne seront pas encore plus de fonds qui s’orienteront vers les voisins méridionaux de l’Union, et moins en direction de l’Est", déclare-t-il en 2007.

Peu après le lancement de l’UpM, la Pologne, assistée par la Suède, propose ainsi le lancement d’un Partenariat oriental, qui vise à rapprocher l’UE des pays post-soviétiques, et dont l'un des objectifs est de s’assurer que cette partie du voisinage ne sera pas délaissée au profit du Sud. Même si, dans un premier temps, ces pays d'Europe du Nord et de l'Est semblent rassurés par la réorientation européenne de l'UpM.

Les bouleversements récents n’ont pas joué en faveur de l’UpM. Dans de nombreux des pays non riverains de la Méditerranée (notamment, de l’Est), la tendance à l’euroscepticisme a fortement augmenté ces dernières années et a donc rendu difficile pour l’UE d’avoir une véritable politique étrangère. En outre, les Printemps arabes ont engendré de nombreuses critiques envers la politique européenne dans la région méditerranéenne. Pour ces observateurs, la force de la contestation populaire a mis en lumière la contradiction de la stratégie européenne, qui désirait instiller des réformes en coopérant avec des régimes autoritaires. Luis Martinez, politiste et spécialiste de la région Moyen-Orient et au Maghreb, écrit ainsi que l'UE "a davantage cherché, dans le cadre de ses différents accords avec les pays de la région, à promouvoir la stabilité et la sécurité que le respect des droits humains et l’instauration de régimes démocratiques. Sa condescendance dans l’établissement d’un dialogue avec la société civile est révélatrice de sa préférence à œuvrer au développement de la région par le seul biais des dirigeants politiques, pourtant rarement élus démocratiquement".

Une difficulté majeure fut notamment d’identifier les nouveaux partenaires de dialogue dans cette région, alors même que l’UpM avait été fondée en coopération avec nombreux dictateurs destitués, tels que Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Egypte, comme le souligne Béligh Nabli, auteur de L'Union pour la Méditerranée : le "boulet diplomatique" de Nicolas Sarkozy (IRIS, 2012).

Un fort engagement de l’UE dans la région méditerranéenne a également été bloqué par les divergences d’opinion des Etats membres concernant l'actuelle situation géopolitique de cette zone et le rôle que l’Europe pourrait y jouer. La menace terroriste ainsi que la crise migratoire déstabilisent fortement la rive sud de la Méditerranée et suscitent la méfiance de nombreux pays européens, notamment de l'Est. Ces derniers privilégiant la défense de leurs intérêts nationaux à une solidarité communautaire. En outre, l’explosion de la crise ukrainienne en 2013 et l’escalade des tensions avec la Russie ont largement contribué à détourner l’Europe centrale et orientale de la région méditerranéenne. Les pays baltes ou encore Pologne sont de fait plus préoccupés par le renouveau de la menace russe et plaident en faveur d'un engagement accru de l’UE dans une résolution du conflit.

Federica Mogherini, haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et Ayman Al Safadi, 
ministre jordanien des Affaires étrangères, coprésidents de l'Union pour la Méditerranée, en mars 2017 
lors du sommet de la Ligue arabe à Amman (Jordanie) - Crédits : Service d'action extérieure de  l'Union européenne

Pourquoi un engagement de l’Europe dans son voisinage méditerranéen est-il fondamental ?

Face aux bouleversements récents de la région méditerranéenne et aux difficultés posées par le désintérêt des pays non riverains, l'Union pour la Méditerranée n'a eu que peu de poids. Certains projets régionaux continuent à avancer, mais le rôle joué par l'UpM est souvent limité. Au-delà de l’UpM, c’est l’UE toute entière qui a été écartée pour gérer les crises régionales, par des acteurs perçus comme étant plus forts et moins déchirés par des contradictions internes tels que les Etats-Unis, la Russie ou encore des Etats européens agissant de façon indépendante (notamment, la France et le Royaume-Uni).

Bien que le renforcement de l’UpM soit un défi, il reste absolument nécessaire, comme l’a d’ailleurs rappelé François Hollande en 2015, à l’occasion d’un discours à l’Institut du monde arabe : "La Méditerranée ne doit pas être une mer du malheur mais une mer de la prospérité et c'est ce que les Européens doivent faire avec les pays arabes. Comment le faire ? Utiliser davantage les institutions qui existent, l'Union pour la Méditerranée, le groupe 5 + 5 qui est sans doute un outil précieux avec le Maghreb, et puis créer cet espace de sécurité, de développement et de solidarité autour de la Méditerranée".

De nombreuses voix s’élèvent ainsi pour défendre des échanges culturels et sur des sujets d’intérêts communs tels que les droits de l’Homme, les transports, l’énergie ou l’environnement, afin de parvenir à dépasser le clivage actuel entre la région méditerranéenne et les pays européen non-riverains. Khadija Mohsen-Finan, docteur en sciences politiques et spécialiste des relations euro-méditerranéennes expliquait à cet égard, en 2015 sur Europe 1 que : "l'un des travers de cette coopération a été de mettre uniquement l'accent sur l'économie et la sécurité, alors qu'il faudrait l'ouvrir à tous les sujets".

Les flux de tous genres ont toujours été forts entre les deux rives et il est important que l’Europe continue à garder une place privilégiée dans l’espace méditerranéen. Giovanni Dotoli, écrivain et universitaire italien, met en garde : "si nous n’agissons pas, ce seront les Etats-Unis et la Chine qui agiront, en se transformant en nouveaux partenaires idéaux de la Méditerranée". L’importance de la région méditerranéenne pour l’UE toute entière doit par conséquent être reconnue. Une stabilité et une prospérité économique dans la région méditerranéenne ne peut être que favorable à un développement européen également. Simon Sutour, vice-président de la commission des Affaires européennes au Sénat, le résumait ainsi en 2011 : "il n’y a pas d’autre voie que le renforcement des liens entre le nord et le sud de la Méditerranée si nous ne voulons pas devenir une région périphérique".

Article dirigé par Toute l'Europe et réalisé avec des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif


Carte des pays membres de l'Union pour la Méditerranée


- En bleu :   pays de l'Union européenne
- En jaune : pays non membres de l'Union européenne
- En vert :   pays ayant suspendu sa participation (Syrie)
- En rouge : pays observateur (Libye)
- En noir :    région du Sahara occidental, territoire non autonome selon l'ONU



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