«Pour l’UE, l’Algérie est une destination commerciale fructueuse mais pas une terre d’IDE»

 
 Abdelatif Rebah

Question en rapport aux résultats annoncés de cette 10e session du Conseil d’association Algérie-UE, consacrée officiellement à l’évaluation commune de la mise en œuvre de l’Accord d’association. L’UE a annoncé une aide de 40 millions d’euros et la signature de 3 conventions d’appui à la réforme des finances, la mise à niveau de l’administration et le développement des énergies renouvelables. Replacée dans le cadre global de déséquilibre manifeste des échanges au désavantage de l’Algérie (220 milliards de dollars d’importation, 14 milliards à l’export hors hydrocarbures), cette «aide» ne ressemble-t-elle pas à un subside ?

Evidemment, il ne s’agit pas de confondre ce modeste outil de financement qui cible des programmes de réformes spécifiques et qui fait partie de la panoplie des instruments de politique extérieure de l’Union européenne avec les démarches volontaristes ambitieuses de type Plan Marshall au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale ou plus près, de celle qui a mobilisé une Banque européenne, la BERD, pour assurer des financements de taille aux ex-pays socialistes d’Europe de l’Est, à partir de 1990.

Ceci dit, vous avez raison de pointer du doigt ce déséquilibre qui reflète bien l’écart criant de perception et de préoccupation qui nous sépare. D’une manière générale, la région euro-méditerranéenne est perçue davantage comme potentiel de périls que de coopération. Pour l’UE, une seule préoccupation : maîtriser l’immigration et les approvisionnements énergétiques. Quand l’Algérie pense diversification de son économie et exportations hors hydrocarbures, ses «partenaires» se préoccupent de la taille du marché et de ses conditions d’accueil.

En réalité, vis-à-vis de notre région maghrébine et, singulièrement, de notre pays, l’Union européenne ne s’est jamais départie, disons, de sa frilosité, quand il est question de financer le développement de notre économie. Le bilan de MEDA 1 et 2 en est d’ailleurs une illustration éloquente. L’Algérie a reçu une soixantaine de millions d’euros, soit environ 5 euros par habitant, à l’époque. C’est la dérision.

Le fait que les pays de l’arc latin de la Méditerranée tirent une part importante de leurs approvisionnements énergétiques — et notamment gaziers — de l’Algérie, pays ayant consenti des investissements considérables orientés principalement vers la satisfaction des besoins en énergie de l’Europe, n’a pas pour contrepartie des investissements et des transferts de technologie venant de l’autre rive de la Méditerranée. Aucun de nos «partenaires énergétiques» majeurs, en l’occurrence, l’Espagne, l’Italie et la France, liés à notre pays par des relations d’interdépendance dans un secteur d’importance vitale, l’énergie, ne réalise ne serait-ce que 0,1% de ses IDE en Algérie.

Ces dix dernières années, l’Algérie a importé pour près de 200 milliards de dollars de l’Union européenne, en contrepartie, durant la même période, les investissements de cette région en Algérie ont représenté moins de 4% de ce montant et encore essentiellement dans les hydrocarbures (…).

- Est-ce que nos partenaires occidentaux, qui dominent nos échanges commerciaux depuis près de quatre décennies, sont vraiment intéressés par l’investissement productif hors hydrocarbures en Algérie ?

Force est de constater que l’Algérie est, pour ces pays, une destination commerciale fructueuse et très prisée mais pas une terre d’IDE, sinon au compte-gouttes et à puissant effet de levier, dans un rapport de 1 à 5 en moyenne. Ceci, bien que l’Algérie ait ratifié 83 accords internationaux incitatifs à l’IDE dont 46 accords bilatéraux et 6 accords internationaux d’investissements. Il ne s’agit pas là d’exigence de codépendance mais de légitime codéveloppement.

- Ramtane Lamamra, le ministre des Affaires étrangères, a parlé, à Bruxelles, d’«asymétrie structurelle» dans la mise en œuvre de l’Accord d’association. Lamamra n’ira pas jusqu’à remettre en cause l’accord et déclare par ailleurs que l’Algérie «respectera son engagement et sa signature». A l’heure du Brexit, de la remise en cause de grands accords commerciaux (sortie des Etats-Unis du Traité transpacifique (TPP)), qu’est-ce qui empêche, d’après vous, l’Algérie de dénoncer vigoureusement cet accord et, à minima, d’exiger sa révision ?

Oui, bien sûr qu’il s’agit d’«asymétrie structurelle». Mais on doit rappeler, ici aux lecteurs, que l’accord sur la création, à l’horizon 2017, d’une zone de libre-échange avec l’UE, à présent sévèrement critiqué, avait été vivement salué lors de sa conclusion. Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Mohamed Bedjaoui, avait jugé que l’association UE/Algérie était un succès politique. Son successeur, Abdelaziz Belkhadem qui, à ce titre, avait bouclé la série de négociations, avait estimé, quant à lui, qu’«avec cet accord, on perd une économie obsolète».

Il se déclarait convaincu que la protection du produit national n’aurait pas servi à grand-chose. «Ce serait, avait-il soutenu, une prime à la médiocrité et à la stagnation.» D’autres responsables ou experts insistaient pour nous convaincre que le démantèlement allait profiter aux producteurs algériens et que l’adhésion de l’Algérie à la ZLE pourrait se traduire positivement par un surcroît d’IDE, l’amélioration de notre système bancaire, la mise à niveau de nos entreprises et, pourquoi pas, l’émergence à terme d’un secteur privé performant.

L’UE devait accompagner le processus de démantèlement tarifaire en accordant aux entreprises algériennes des mesures d’appui multiformes destinées à amortir le choc de l’ouverture. L’Algérie allait bénéficier, pensait-on, de délocalisations et de sous-traitance. Des attentes estimées légitimes car, jugeait-on, à la mesure de la promptitude avec laquelle le gouvernement avait procédé au démantèlement tarifaire.

On a offert sur un plateau tous les segments intéressants du marché intérieur autour desquels pouvaient se mouvoir et se développer les entreprises algériennes qui n’ont que le marché national de 32 millions de consommateurs. Cet accord était censé nous atteler à l’Europe dans une démarche de codéveloppement, d’investissement, de mise à niveau, etc.

Qu’en est-il en réalité ? L’accord en question qui a facilité les échanges a permis surtout de gonfler les importations de l’Algérie en provenance des pays de l’UE. Leur montant est passé de 8,2 mds de dollars en 2002 à 29,7 mds dollars en 2014, accusant ainsi une augmentation de plus de 260% de la valeur globale, en 12 ans.

L’Accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne a causé un manque à gagner de 700 milliards de dinars en recettes douanières, soit près de 7 milliards de dollars, depuis sa mise en œuvre en 2005. Pour protéger son économie, l’Algérie a demandé à ses partenaires un report du démantèlement tarifaire qui devait marquer l’établissement de la zone de libre-échange entre eux.

Celui-ci mettait en danger plusieurs filières de l’industrie nationale, mal protégées et mal préparées à la concurrence de produits européens admis sur notre marché sans taxe ni droit de douane. Et pour cause, la reconstruction du marché intérieur, la substitution aux importations, c’est-à-dire le passage du statut d’importateur à celui d’industriel dans les filières occupées, comment une telle réorientation peut-elle s’opérer si on accepte en même temps le maillage serré de l’espace décisionnel national par le système de normes, de règles et de procédures instauré par les «institutions internationales» (FMI, BM, UE, OMC…) et l’obligation de conformité qui en résulte.

Limiter l’exposition à l’économie mondiale, se soustraire aux normes qui la structurent, constituer des écrans protecteurs, deviennent donc une condition indispensable à la mise en œuvre effective et concrète d’une réindustrialisation substitutive.

Par Abdelatif Rebah (Economiste, ancien cadre supérieur au ministère de l’Energie) - Source de l'article Elwatan

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