Le commerce des migrants est très lucratif au sud de la Méditerranée

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Chauffeurs, hôteliers, recruteurs et vendeurs, ils sont des milliers en Afrique à vivre du passage des Nigérians, des Ivoiriens et autres Sénégalais


La stratégie européenne en Méditerranée centrale bute sur un problème essentiel. Les intérêts divergent de part et d’autre de la grande bleue. Si les migrants sont considérés au nord comme un fardeau, ils représentent au sud une importante source de profits. L’arrivée de nombreux Syriens en 2012 et en 2013, puis l’afflux massif des Subsahariens ont grandement profité à l’économie des pays traversés, en apportant une manne inespérée à une foule de chauffeurs, d’hôteliers, de recruteurs, de vendeurs et de banquiers plus ou moins improvisés.

Le commandant de l’opération Sophia (chargée de combattre les passeurs en Méditerranée centrale), le vice-amiral Enrico Credendino, a remis le 30 novembre dernier aux Etats membres de l’Union européenne un rapport confidentiel sur le sujet. Le document souligne que la prise en charge des migrants représente «une source majeure de revenus» pour les villes de la côte libyenne. Les sommes en jeu sont estimées à quelque 300 millions d’euros par an, un montant d’autant plus appréciable qu’il renfloue des économies sinistrées par des années de guerre et de chaos.

La métamorphose de Zouara

La ville portuaire de Zouara est un parfait exemple de cette évolution. Peuplée de Berbères dans un pays majoritairement arabe, cette localité marginale connaît habituellement une situation économique précaire, caractérisée par un taux élevé de chômage. Les flux migratoires l’ont métamorphosée depuis 2011 en la convertissant en épicentre des départs de migrants vers l’Europe, ce qui lui assure désormais un flot ininterrompu de rentrées financières.

Plus en amont, sur les routes qui conduisent à la côte méditerranéenne, de nombreux autres endroits tirent profit de la situation. C’est notamment le cas de la ville nigérienne d’Agadez, le principal carrefour des routes menant d’Afrique noire à la Libye. Entre janvier et octobre 2016, elle a vu passer quelque 170 000 migrants, soit près d’une fois et demie sa population. Une source de profits considérable pour les habitants traditionnels de la région, ces grands arpenteurs de désert que sont les Touaregs et les Toubous, comme pour des résidents plus récents, fonctionnaires de police, militaires et migrants «en transit prolongé», habiles à prélever leur dîme, qui en rançonnant les véhicules, qui en aidant leurs compatriotes aux étapes.

De sérieux risques politiques

Toute limitation des flux migratoires en Méditerranée centrale aurait dès lors un large impact sur les régions traversées. L’effondrement du commerce des migrants représenterait pour elles une catastrophe économique aux risques politiques évidents, assure une récente analyse de L’Institute for Security Studies (ISS) de Genève, «The Niger-Libya corridor – Smuggler’s perspectives». Au Niger, nombre de passeurs sont d’anciens rebelles qui ont abandonné les armes par opportunisme et il est facile d’imaginer leur réaction s’ils étaient un jour privés de leur gagne-pain. Quant aux militaires, ils seraient très irrités de perdre une source de revenus aussi aisée. Et vu leur riche passé putschiste, ils pourraient bien en faire payer le prix au pouvoir politique. Bref, le pays risquerait d’être déstabilisé au profit de ses éléments les plus incontrôlables, à commencer par les djihadistes, bien moins actifs jusqu’ici qu’au Mali voisin.

Bien sûr, l’Union européenne est susceptible d’aider financièrement les régions concernées. Mais elle n’est sans doute pas prête à verser des montants comparables aux revenus occasionnés par le commerce des migrants. Dans des pays aussi corrompus que la Libye et le Niger, la majeure partie de son argent a par ailleurs toutes les chances d’être détourné. Et s’il ne l’est pas, s’il atteint par miracle le terrain, ses destinataires ne seront pas forcément les perdants du changement, cette multitude de contrebandiers, de marginaux et de migrants qui devra bien trouver un nouveau moyen de se débrouiller.

Par Etienne Dubuis -Source de l'article Le Temps

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