Semaine Économique de la Méditerranée : vers un printemps numérique ?

La 10e édition de la Semaine économique de la Méditerranée a dévoilé les perspectives affriolantes du numérique. Le Maghreb, ouvert sur l'Afrique subsaharienne, en attend un grand nombre d'emplois et un rattrapage économique. Marseille s'affirme comme hub international data.

Vingt pays représentés, 300 intervenants, 3000 participants aux rencontres, échanges sur les grands enjeux économiques dans les pays de la Méditerranée, de l'Orient et de l'Afrique. © Philippe Léger

L'Office de coopération économique pour la Méditerranée et l'Orient (Ocemo) annonçait comme thème de cette 10e édition : « le numérique – pour une Méditerranée connectée ». Cette importante manifestion du monde méditerranéen s'est déroulée du 2 au 4 novembre à la Villa Méditerranée.
On a découvert un Maghreb qui rêve d'un tsunami technologique et économique et qui lorgne vers l'Afrique subsaharienne, déjà cible de toutes les convoitises. 
La mutation qui s'opère en Méditerranée conforte le territoire d'Aix-Marseille, labellisé French Tech, et renforce son désir de s'engager encore plus résolument dans la révolution numérique au service de sa mutation urbaine, notamment dans le 3e arrondissement.
La métropole phocéenne totalise à ce jour plus de 40 000 emplois dans le numérique. Pas moins de 5 000 emplois supplémentaires sont attendus dans les cinq prochaines années.

Marseille confirmé comme hub international data

Philippe de Fontaine Vive, Co-président de l'Ocemo, l'organisateur de cette Semaine, a dévoilé à la conférence de presse les nouveaux atouts de la métropole phocéenne : « treize câbles sous-marins passent aujourd'hui par notre ville. Ils innervent 5 milliards d'individus en Europe, Afrique, Moyen Orient et Asie. Aujourd'hui, Marseille cultive l'ambition d'implanter des accélérateurs de croissance. Tout cela encourage les acteurs économiques de la rive Sud de la Méditerranée à installer une base dans la métropole phocéenne, dans un environnement juridique efficace... »

Les grands opérateurs mondiaux ont déjà leurs regards tournés vers la doyenne des villes de France. 
La société Interxion, le deuxième opérateur de data centers dans le monde avec 43 installations est implantée dans la métropole phocéenne, 40 avenue Roger Salengro (3e arr.), sur l'ancien site de SFR. 
Fabrice Coquio, le président d’Interxion France a confirmé en juin de cette année le choix du port de Marseille et des bassins Est pour implanter deux nouvelles infrastructures dont une dans l’ancienne base sous-marine allemande “Martha“. » À Marseille, on recycle ! 
Les investissements d'Interxion en jeu sont très importants, « entre 180 et 200 millions d’euros. »

Très haut débit : couverture intégrale de la France annoncée pour 2022

En France, la DGE (Direction Générale des Entreprises), rattachée au ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, a publié « les chiffres clés du numérique » dans son édition 2015, repris à la Semaine économique de la Méditerranée. On y apprend que 118 428 entreprises travaillent dans le secteur des Tic (Technologies de l'information et de la communication) et emploient 662 365 salariés (chiffres 2013). En 2014, les ventes aux particuliers via internet (commerce en ligne « B to C » - Business to « Consumers ») ont dégagé un chiffre d'affaires de 56, 8 milliards d'€. L'État a décidé de consacrer 20 milliards d'investissements pour le déploiement du plan « France très Haut Débit », l'objectif étant la couverture intégrale du pays avec des lignes autorisant un débit supérieur à 30 Mégabits par seconde.

« L'Afrique devrait sauter des étapes et donc gagner un temps précieux »

En vert, l'Afrique subsaharienne © Domaine public
Présent à cette 10e édition, le fondateur et président de Jaguar Network, Kevin Polizzi, dresse le constat : « Aix-Marseille French Tech fait de l'Afrique une priorité buisiness avec déjà plusieurs partenariats mis en place... Aujourd'hui, plus d'un millier de startups européennes dopent l'économie et regardent comment ajouter l'Afrique à leurs cibles commerciales à moyen terme... 
En trois ans les réalisations sont comparables à celles qui ont été mises en place en dix ans du côté européen. On peut citer la création du premier data center au Maghreb, les premiers câbles de fibres optiques sous-marines qui interconnectent Marseille et l'Afrique à haut débit. En Afrique, on assiste à la création de startups digitales plutôt orientées vers le hardware avec par exemple la téléphonie et le développement de produit personnalisés. 
L'Afrique devrait profiter pleinement de cette époque innovante, sauter les étapes et donc gagner un temps précieux. »

L'Afrique , nouvel eldorado des investissements mondiaux

Avec 5% de croissance depuis presque 10 ans, un taux presque insolent pour des pays européens qui marquent le pas, comme la France, l'Afrique s'annonce comme le nouvel eldorado des investissements mondiaux... 
La situation géographique des entreprises maghrébines les prédispose à surfer sur la croissance africaine, à constituer de véritables hubs eurafricains et transafricains pour les relations intercontinentales.
Un atelier organisée par Africa Businesse Solutions a mis en exergue l'impact des Tic avec les témoignages de dirigeants d'entreprises, d'experts et consultants.
La révolution numérique transforme les modes de vie, les économies et les emplois. 
Les Tic offrent d'immenses possibilités pour innover, créer de nouveaux types d'emplois, rapprocher l'offre et la demande, augmenter les emplois disponibles grâce à une amélioration de la productivité, stimuler la croissance.

La Banque Africaine de Développement soutient l'offensive sud/sud

Le numérique est la voie privilégiée par la Tunisie pour absorber son grand nombre de diplômés de l'enseignement supérieur (sur ses 700 000 chômeurs près de 170 000 sont diplômés du supérieur.) 
Ce pays favorise depuis quelques années l'émergence et la valorisation des IDE (Investissements Directs Étrangers) et des Tic. Qu'on en juge ! « Tunisie Digitale 2010 », plan stratégique quinquennal soutenu par la Banque Africaine de Développement, pour une meilleure connectivité et l'accroissement du nombre d'emplois et du chiffre d'affaire du secteur, une offensive résolument sud/sud... Plan d'action pour l'économie numérique (2011-2013)... Plan Jasmin économique et social (2011-2016)... plan « Smart Tunisia » de 2014...
Pour remédier... au recul de la Tunisie dans le classement mondial ( elle rétrograde de la 87e à la 92e place avec un indice de compétitivité de 3,92) révélé par le rapport 2015-2016 du Forum économique mondial de Davos, la Tunisie veut aujourd'hui mettre les bouchées double et rattraper son retard avec un nouveau plan... « Tunisie digitale 2018. » Affaire à suivre !

Le Maroc veut s'ancrer dans l'économie digitale* mondiale

« Maroc Digital 2020 » est défini comme un plan destiné à succéder à « Maroc Numeric 2013 » dans le domaine des Tic et à ancrer dans les 4 ans le Maroc dans « l'économie digitale. »
Il s'agit de réduire de moitié du « Digital Divide » (fracture numérique) en traitant 50% des démarches administratives par Internet et en connectant 20 % des PME marocaines. Pour sa mise en œuvre, une agence dédiée à l'économie numérique et au « e-gouvernement » a été créée : l’Agence de développement de l’économie numérique (ADEN). 
Outre la « digitalisation » des services administratifs, Maroc Digital 2020 souhaite généraliser le Wifi-OutDoor, et le proposer gratuitement dans tous les espaces publics ; lancer des programmes d'alphabétisation numériques et de programmation informatique, dès l'école primaire ; former des professionnels dans le domaine des ‪TIC pour atteindre le nombre de 30.000 professionnels en 2020.»
« Avec le plan "Maroc Digital 2020" le Maroc entend rentrer de plain-pied dans la mondialisation. » Une bonne intention.

L'Algérie, « terre d'opportunités dans l'économie numérique », lance un appel à sa diaspora

« À l'aube d'une nouvelle révolution industrielle qui consacre les technologies de l'information et de la communication, l'Algérie a placé le numérique au coeur de sa stratégie de développement et de diversification de son économie. Avec près de 60% de sa population qui a moins de 30 ans, l'Algérie possède les ressources et le potentiel pour en faire une terre d'opportunités dans l'économie numérique » peut-on lire sur le programme de la Sem 2016 (page 30). 
Plombée par un prix du pétrole très bas, l'Algérie veut diversifier son tissu économique. Pour cela elle mise sur le numérique. Tout en faisant la promotion du « made Algeria », elle met en place une politique de substitution aux importations. L'Algérie est ouverte aux entreprises étrangères pour des échanges « gagnant-gagnant » mais toujours en veillant à ce que ses ressortissants gardent le contrôle des opérations.

Les entrepreneurs algériens sont enthousiastes. Plus d'une fois, au cours de ces trois journées, ils ont proclamé haut et fort leur volonté de faire accéder leur pays au rang de « pays émergent ». 
Ils ne plaident plus dans le désert. Chez eux, la révision constitutionnelle de 2016 a mis sur un pied d'égalité l'entreprise privée et l'entreprise publique, autorisant le développement des Tic dans un environnement qui reste toutefois difficile.
À Marseille, le mot d'ordre était à la mobilisation de la diaspora : « la France compte 5 millions d'Algériens, dont 400 000 ingénieurs, techniciens, employés, qui travaillent dans les grandes sociétés. Autant de spécialistes, autant d'atouts pour lancer la révolution numérique et assoir victorieusement les bases de la nouvelle économie algérienne. »
Le numérique est avant tout une affaire de matière grise, beaucoup plus appréciable que l'or noir qui ne cesse de se déprécier et dont les cours sont aujourd'hui au plus bas. 
Lors de ces 3 journées à la Villa méditerranée, le dynamisme de sa jeunesse en a épaté plus d'un, notamment lors la table ronde, « l'Algérie : terre d'innovation dans le numérique ». Pas simplement le dynamisme de belles Algériennes (des mannequins) qui ont fait leur entrée au cours de cette table ronde, décidément captivante de bout en bout, mais celui des intervenants qui ont su enchanter le public, particulièrement Karim Cherfaoui (DG de Divona et représentant du FCE - commission Tic), qui l'a conquis par son aisance dans la communication, la clarté de ses explications, sa connaissance approfondie du secteur numérique et de ses enjeux, sa passion d'entreprendre.
Le plus vaste pays du continent africain s'estime à l'aube d'un développement économique nouveau et prometteur. Lui aussi regarde du côté de la zone subsaharienne.

Table ronde "Développement du numérique et marché du travail en Méditerranée" © Philippe Léger

Le commissaire européen Johannes Hahn : "Marseille doit garder ses connexions avec le sud de la Méditerranée"

Au cœur de ces 3 jours, un événement dans l'événement organisé par l'Institut de la Méditerranée, le Femise et le Cercle des Économistes, « les rendez-vous économiques de la Méditerranée », ont abordé le développement du numérique et le marché du travail en Méditerranée.
La rencontre a été inaugurée par Johannes Hahn, commissaire européen en charge de la Politique européenne de Voisinage et des Négociations d'Elargissement.

De gauche à droite : Alain Dumort, nouveau chef de la Représentation régionale de la Commission européenne à Marseille - Johannes Hahn, commissaire européen en charge de la Politique européenne de Voisinage et des Négociations d'Elargissement. © Philippe Léger

À son issue, le commissaire Johannes Hahn a répondu aux questions des journalistes.
Au cours de l'interview accordée à GoMet Le média métropolitain, le commissaire européen Johannes Hahn a salué « les liens traditionnels très forts qui lient Marseille à la rive sud et a exprimé sa reconnaissance à la Semaine Économique de la Méditerranée qui joue un rôle très important pour le futur économique du sud de la Méditerranée. » 
Parmi les vertus du numérique, il a mis en évidence les opportunités commerciales : « le busisness apporte de l'emploi, c'est ce dont nous avons besoin partout... il s'agit d'attirer les compagnies en Méditerranée pour donner aux gens l'opportunité de rester dans leur région. C'est important pour les familles, les jeunes... » Une manière de reprendre le slogan bien connu de « vivre et travailler au pays ! »
La diversité est pour lui très importante. Il encourage « la rupture avec la mono-économie axée sur le tourisme, extrêmement vulnérable au terrorisme de Daech », comme il le précisera aux journalistes de la presse écrite.
L’action économique reste la dimension fondamentale de la politique extérieure de l’Union européenne. « Ses aides s'additionnent avec celles des États » a fait remarquer le commissaire européen à un journaliste marocain qui les estimait « très insuffisantes par rapport à celles apportées... par l'Inde et la Chine ! » 
Premier pourvoyeur d’aide sur le plan mondial, l’Union européenne reste un acteur clé du développement du Sud. Et ses aides à la rive sud surpassent largement celles des autres pays. 
« Avec la nouvelle politique de voisinage (Pev), l'Union européenne propose à ses voisins une offre économique et une offre en matière de sécurité, avec un développement de la coopération transfrontalière, afin de répondre à quatre défis : démocratique, économique, énergétique et migratoire. » 
« Le commissaire européen à la Pev coordonne la coopération plus étroite dans des domaines tels que le commerce, la mobilité, l'énergie, et l'éducation pour créer des partenariats sur mesure pour développer les relations avec chaque voisin. »
À Marseille, le commissaire Johannes Hahn a rencontré des chefs d'entreprises et les acteurs marseillais de la coopération euro-méditerranéenne. Son séjour en région Paca s'est poursuivi le lendemain, à Nice, qui assure cette année la présidence de la rencontre des villes du réseau Euromed, créé en 2000, qui rassemble 100 villes situées dans 22 pays d'Europe et les côtes est et sud de la Méditerranée.

À droite : Jean-Hervé Laurent Lorenzi, président du Cercle des économistes © Philippe Léger

Un espace privilégié de rencontres et d'échanges d'expériences Nord-Sud... et Sud-Sud

Pendant 3 jours, à la Villa Méditerranée de Marseille, le public a assisté à 20 événements autour du numérique en Méditerranée : conférences, tables rondes, ateliers business, « pitch » (boniment) d'entreprises etc.
Les Marseillais sont partis à la découverte d'entreprises et de technologies à la pointe de ce secteur. Avec le Village des entreprises, mis en place au cœur de la manifestation, dans l'espace Agora, ils ont pu découvrir des solutions numériques innovantes.
Le Semaine économique de la Méditerranée a donné l'occasion de se rencontrer aux acteurs clés locaux, nationaux, européens, méditerranéens et africains de la filière.
Vingt pays représentés, 300 intervenants, 3000 participants aux rencontres, échanges sur les grands enjeux économiques dans les pays de la Méditerranée, de l'Orient et de l'Afrique.
Marseille et Provence-Alpes-Côte d'Azur ont confirmé qu'elles constituent un pôle important du partenariat euro-méditerranéen, par leur position géographique, leur histoire, leur fonction portuaire, les entreprises qui les composent et les liens étroits qu'elles ont su développer avec l'ensemble des territoires du pourtour méditerranéen et... l'Afrique subsaharienne.
Nous assistons à une véritable révolution numérique. Elle est encore loin d'avoir exprimé tout son potentiel et nous n'en comprenons pas encore toutes ses implications dans notre vie quotidienne, la société, l'environnement, les relations internationales... 
Les technologies et les pratiques qui en découlent, envahissent notre monde, pêle-mêle : ordinateurs, tablettes, smatphones... internet... les achats via un site e-commerce... triple play (internet – téléphone – télévision)... les opérations chirurgicales à distance... contrôle des réseaux d'électricité, de gaz, d'eau... suivi des bateaux... reconnaissance faciale, carte de paiement, contrôle d'accès, formation, automobile, parking, « smart port » (port intelligent), sécurité des chantiers, administration, fichiers, papiers d'identité, édition, commerce etc. 
Tout cela n'est qu'un très, très bref apperçu de ses immenses possibilités. 
C'est tout le mérite de la 10e édition de la Semaine Économique de la Méditerranée de nous en avoir fait découvrir les enjeux et les défis. 
Selon Jean-Claude Juncker, le président de la commission européenne, « le marché du numérique pourrait générer au bas mot 415 milliards d’euros par an pour l'économie de l'UE et créer des centaines de milliers de nouveaux emplois ».

Par Philippe LEGER - Source de l'article Blog Mediapart

* Digital et numérique : ces deux termes sont synonymes. Le premier est dérivé du latin digitalis, « qui a l’épaisseur d’un doigt », lui-même dérivé de digitus, « doigt ». 
Jadis, on comptait sur ses doigts ; de ce nom latin les Anglais ont tiré « digit » (chiffre) et « digital » (numérique). 
L'Académie Française recommande l'usage de « numérique ». 
Une différence apparaît néanmoins dans l'usage des mots « digital » et « numéric » aux États-Unis. Elle est du même ordre de ce qui distingue le « rond » du « cercle ». Aux États-Unis les deux mots sont quelques fois accolés et demandent un complément d'explication, les farceurs sont les premiers à le donner, mais au final la différence n'est pas facile saisir pour les non intitiés

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