Un printemps arabe de l’art, vraiment? (2/2)

Les galeries et les ventes aux enchères se multiplient dans le monde arabe. Mais dans cette région, l'art doit encore trouver sa libération et ses mécènes.

Vente aux enchères d'objets de La Mamounia, à Marrakech, le 21 mai 2009. AFP PHOTO / Abdelhak Senna

Des amateurs bobos et salonnards

Le boom du marché marocain de ces dernières années s’explique plutôt par le foisonnement récent de maisons de ventes aux enchères et de nouvelles galeries, suscitant un véritable engouement des plus nantis, correspondant à une période où le Maroc a connu ces dernières années une explosion de son marché boursier et un net développement de l’immobilier.
Aussi étriqué soit-il, le marché de l’art marocain est largement tiré par les particuliers, qui s’approprient 70% du volume des ventes, d’après une enquête du bimestriel Diptyk dédié à «L’art vu du Maroc», qui après quelques numéros s’est imposé comme la bible de la profession et des amateurs.
Très tendance, les espaces dédiés à l’art ont fait florès dans les grandes villes depuis la fin des années 90, attirant une clientèle bobo, mimant Mohammed VI, serial acheteur de peintures orientalistes et contemporaines.
Ils arpentent des galeries (Venise Cadre, Shart, Atelier 21, Loft…), des espaces d’art d’entreprise (Société Générale, ONA, Actua) et salles de ventes aux enchères (CMOOA, MémoArts, Maroc Auction, Tanger Auction, Eldon & Choukri…), comme il le feraient à New York, Paris, Londres ou Dubaï.
Cette catégorie d’acheteurs, jeunes quadras entrepreneurs, issus d’une bourgeoisie férue d’art, se montre à tous les événements qui font le marché: vernissages en galerie, ventes aux enchères. Ils achètent et collectionnent, lisent La Gazette de l’Hôtel Drouot, se documentent et orientent désormais le marché.
C’est essentiellement l’art contemporain marocain et la peinture orientaliste réalisée au Maroc qui battent tous les records. Les vedettes du moment s’appellent Mounir Fatmi, Mohamed El Baz, Miloud Labied, Abdelkebir Rabi, Fouad Bellamine…
Les collectionneurs sont aussi à l’affût des Mahi Binebine, Moa Bennani, parfois un tirage de Lamia Naji (la photographie ayant fait une percée remarquable en 2008), et, fait récent, des œuvres comme celles de Hassan Darsi, qui enfin franchissent la ligne de l’atelier vers le marché, ce qui confirme que les artistes d’aujourd’hui ont trouvé un public avant même l’effet papillon des révolutions.

Une ambiance formidable ou… crépusculaire

Normal: pour les acheteurs il n’est pas question de faire chuter le tyran, mais d’appartenir à une classe sociale mondaine qui s’entiche d’intellectualisme, un peu à l’image des salons de la royauté française à la veille de la Révolution de 1789. Il est ainsi de bon ton de parler de réformes, de côtoyer les refuzniks en privé et de se payer l’œuvre d’un marginal. Certains artistes se complaisent d’ailleurs dans cette ambiance, formidable pour les uns et crépusculaire pour d’autres.
Tout l’art au Maroc ne se transforme pas non plus en machine à cash. Si l’attrait est élevé pour l’art moderne (Hassan El Glaoui, Jilali Gharbaoui,Ahmed Cherkaoui, Mohamed Ben Allal, etc.), c’est la peinture orientaliste des peintres voyageurs du temps des colonies (Jacques Majorelle, Edy Legrand) qui continue de faire fureur. Les rabatteurs du roi font le marché encore une fois. L’un d’eux a dû se déplacer en Uruguay pour capter une œuvre oubliée!
Cette nouvelle donne permet-elle de nourrir de grands espoirs quant à la survie de l’art marocain? Pas si sûr. Les choix des acheteurs cèdent parfois à l’euphorie du moment, loin des créations actuelles. On les a surtout vus se bousculer à Marrakech par exemple, lorsque La Mamounia avait fait peau neuve sous la houlette du décorateur français Jacques Garcia, pour pouvoir emporter un peu du célèbre palace chez eux.
Sous le marteau de maître Aguttes, un commissaire-priseur français, environ 5.000 objets avaient défilé, dont un nombre très important de répliques debergères Leleu, de bibelots Lalique, comme on en voit dans beaucoup d'hôtels chics, d'aquarelles, de commodes, de services en porcelaine et de lanternes de jardin, de tables, de guéridons, de vaisselle, de lampes, mais aussi de porte-bagages et de guérites de surveillance, tous adjugés pour un total de 3 millions d’euros. L’art révolutionnaire n’était pas d’actualité, il est vrai.
Mais les plus avertis des acheteurs osent maintenant le frisson en misant sur les valeurs sûres à l’international, à cause d’une distorsion évidente des prix. Il n’est donc plus obligatoire d’appeler son courtier d’Artcurial à Paris pour s’offrir un Poliakoff ou un Buffet. Preuve encore que l’intérêt est loin d’être en phase avec l’actualité, surtout lorsqu’elle se révèle plutôt anxiogène.
Avec les grandes fortunes, les institutionnels demeurent certes les plus actifs sur le haut du marché au Maroc (notamment les banques comme la Société Générale, Attijariwafa Bank, Bank Al-Maghrib, le Crédit agricole), mais aussi les compagnies d’assurance et certains gros poids lourds du public, comme la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), l’Office chérifien des phosphates (OCP) ou la holding royale SNI-ONA.
Cette tendance domestique et hésitante à l’allure de niche s’insère à l’évidence dans le frémissement notable pour l’art arabe et iranien dans certains pays du Moyen-Orient, notamment aux Émirats, au Liban et au Qatar, au point où, d’une part, les grandes maisons comme Sotheby’s et Christie’s s’y installent —pétrodollars obligent— mais aussi parce que des artistes de la région commencent à percer sur le marché mondial.
Et de ce constat, le «printemps arabe» de l’art, s’il existe dans les ateliers et les foires occidentales, attend encore sa libération là où il peut trouver non seulement son public, mais surtout ses véritables mécènes.
Par Ali Amar - Source de l'article Slate Afrique

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