Pour une Méditerranée des projets

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage... C'est à un beau voyage en Méditerranée que nous vous invitons dans cet été.

Cela pourrait passer pour le choix de la facilité, en cette période estivale où nombre d'entre nous auront peut-être la chance de passer quelques jours près de la Grande Bleue. Et pourtant, à l'heure où grondent les clameurs de la guerre civile en Syrie et en Égypte, et où sa façade européenne souffre d'une récession sans fin, parler des projets qui vont dessiner la Méditerranée de demain est un choix certes audacieux, mais justifié par une indispensable vision à long terme.
Centre du monde occidental, de l'Antiquité jusqu'au milieu du XVIIe siècle, carrefour entre trois continents et source des trois religions du Dieu unique, la Méditerranée du XXIe siècle débutant inquiète, à juste titre. C'est un chaudron qui bouillonne de violence, comme un volcan prêt à l'éruption. Partout, les peuples se révoltent : en Grèce contre les oukases de la Troïka ; en Espagne, contre l'austérité et les folies immobilières des banquiers ; en Italie contre la rigueur et l'inquisition fiscale (bientôt aussi en France...).
Au sud, les révolutions arabes, qui sont (ce n'est sans doute pas un hasard) contemporaines de la crise de la zone euro, font craindre un effet domino dans tous les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient où l'idéal démocratique menace d'être balayé par le choix impossible entre l'islamisme radical et la dictature militaire. La Méditerranée de 2013 est en crise profonde, avec un chômage endémique qui frappe durement les jeunes générations et détruit les classes moyennes, sédiment de la stabilité politique.
Il y a pourtant une autre Méditerranée, ou plutôt d'autres Méditerranées, tant il apparaît évident que cet espace commun, ce Mare Nostrum, n'a que l'apparence de l'unité. Cette mer fermée, ouverte à l'ouest par le détroit de Gibraltar (notre photo de couverture) et à l'est par le canal de Suez, n'est pas qu'un lieu de passage, où naviguent chaque jour 2"000 navires, dont 300 pétroliers, l'un des trafics les plus denses du monde après la Manche. C'est aussi et surtout une terre d'opportunités nouvelles pour les 22 pays riverains qui représentent ensemble plus de 450 millions d'habitants (presque autant que l'Union européenne), dont la moitié vivent sur les rives sud et orientale. Et si ce monde encore très fermé devenait plus intégré ? En 1957, l'Europe a consolidé sa paix par le marché commun. Pourquoi pas les pays arabes...
L'Union pour la Méditerranée, lancée par Nicolas Sarkozy, étant politiquement bloquée, l'avenir passe plutôt par des réalisations concrètes. Le plus grand aéroport du monde ? À Singapour ? Non, à Istanbul, bientôt. À Tanger se construit un port de commerce de la taille de Rotterdam. L'eau, les villes, les transports : les projets pullulent... C'est la Méditerranée des régions et des grandes métropoles qui sont, et seront, le moteur du développement futur. Mais cela ne peut réussir que si l'Europe, dans son ensemble, fait le pari du co-développement et investit massivement. L'énergie, l'environnement, une main-d'œuvre abondante et qualifiée : il y a des intérêts puissants communs entre les deux rives de la Méditerranée.
2013 est aussi l'année de Camus. Né à Mondovi, en Algérie, le 7 novembre 1913, l'écrivain croyait dur comme fer dans la réconciliation des peuples et des religions. 2013, c'est aussi l'année où Marseille, capitale européenne de la culture, offre avec son Mucem un magnifique écrin aux civilisations de la Méditerranée. Alors que l'Afrique décolle, et sera d'ici à 2020 le continent qui connaîtra les plus forts taux de croissance, il n'y a pas de raison que la crise actuelle ne parvienne pas à se résoudre. Même si cela prendra du temps et nécessitera bien plus que les douze travaux d'Hercule...
Par Philippe Mabille - Source de l'article La Tribune

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