L'avenir de l'Europe est au sud !


Copyright ReutersDevant la poussée de la Chine et des pays émergents, l'Europe et les pays du Sud méditerranéen sont sous la menace d'une irréversible marginalisation économique. Un scénario de la convergence économique de l'Euroméditerranée permettrait de conjurer ce risque. François Hollande et Martin Schulz, le président du Parlement européen, y sont favorables. Cela suffira-t-il ?

Force est de constater qu'en dépit de la proximité géographique et de l'histoire millénaire commune du Mare Nostrum, le niveau d'intégration économique dans l'Euroméditerranée (Euromed), autrement dit entre les pays du pourtour méditerranéen, est aujourd'hui l'un des plus bas au monde. Pire et en apparence paradoxal , l'intégration économique des pays de la rive sud méditerranéenne entre eux est quasiment inexistante : leurs échanges communs ne représentent que 3 % du total de leur commerce international.

En 2012, l'Union européenne a certes exporté vers les pays du Sud et de l'Est méditerranéen pour 167,98 milliards d'euros, et importé de cette zone pour 121,13 milliards. Mais si ces flux, équivalant à 10 % du commerce extérieur mondial de l'UE, sont importants pour l'Europe, ils restent bien inférieurs à ceux d'autres grandes régions : le poids de ce commerce intra régional est de 22 % dans la zone Mercosur (Amérique du Sud), et de 25 % pour l'Asean (Asie du Sud-Est).

Pourtant, mieux intégrés, les pays de l'Euromed gagneraient, selon les études, de un à trois points de croissance de PIB, soit en moyenne deux points pour les pays riverains du sud comme du nord de la Méditerranée. Une estimation qui fait consensus parmi les économistes, même si Frédéric Blanc, directeur général du Forum euro-méditerranéen des instituts de sciences économiques le Femise, basé à Marseille et fédérant 85 instituts de 25 pays admet qu'il s'agit d'une appréciation au doigt mouillé. Tout dépendrait en fait de l'étendue et du niveau d'intégration. D'ailleurs, prévue pour 2010, la création d'une zone de libre-échange en Méditerranée n'a toujours pas abouti.

Des écarts de richesse et de niveau de vie considérables
 

De nombreux projets concrets déjà engagés

Sur le plan géopolitique, l'Union pour la Méditerranée (UPM), créée en juillet 2008 à l'initiative de Nicolas Sarkozy, s'est vite révélée un machin inopérant, mais la gouvernance du partenariat Nord-Sud a progressé. Et l'UPM est tout de même devenue un cadre propice à l'éclosion ou à la consolidation d'une multitude de projets structurants intéressant les deux rives de l'Euromed. Qu'on en juge. Le Plan solaire méditerranéen (PSM, qui inclut l'ensemble des énergies renouvelables) est le plus ambitieux de ces projets. Il vise à parvenir, à l'horizon 2020, à une capacité installée de 20 GW d'électricité d'origine renouvelable dans les pays du Sud, et à contribuer à l'approvisionnement énergétique de l'Europe, qui participe d'ailleurs à son financement.

À ce jour, la réalisation la plus spectaculaire, qui s'inscrit dans le cadre du PSM, est le chantier déjà commencé de la centrale solaire de Ouarzazate, au Maroc. Elle sera l'une des plus importantes au monde, et la première en Afrique, avec une capacité de production de 500 MW, soit l'équivalent de l'alimentation d'une ville de 250 000 habitants. Son coût est évalué à environ 1 milliard d'euros, soit 2 % de l'estimation totale du PSM, à 50 milliards...

Autre grand projet de l'UPM en cours de réalisation : l'interconnexion électrique du pourtour méditerranéen, dont le coût devrait se situer dans une fourchette de 6 à 10 milliards d'euros. Des chantiers auxquels il faut ajouter tous ces projets en millions d'euros : une centaine sont actuellement examinés par le secrétariat général de l'UPM (installé à Barcelone), qui en a déjà labellisé 14 (lire page 6).

L'UE maintient ses investissements

Face aux bouleversements des insurrections arabes déclenchées en janvier 2011 par la révolution du jasmin tunisienne, l'UE a débloqué prêts et dons d'urgence. Aujourd'hui, malgré ses propres difficultés, elle maintient au même niveau ou presque son action financière en faveur des pays du Sud et de l'Est méditerranéen, les Psem. Le budget européen, approuvé par le Parlement le 3 juillet dernier, prévoit ainsi, pour la période 2014-2020, une ligne de financement de 8,4 milliards d'euros pour les Psem, soit un léger recul de 3 % par rapport au budget originel de 2007-2013. Pas si mal, si l'on considère que le budget européen global est lui-même en baisse. Ainsi, Henry Marty-Gauquié, directeur représentant la Banque européenne d'investissement (BEI) à Paris, estime que les pays méditerranéens peuvent être assurés d'un soutien continu de la part de l'Union, d'autant plus qu'en addition aux prêts de la BEI viendront les subventions du budget pour la transition démocratique des pays arabes.

Plus facile de faire du business en Turquie... qu'en Italie ou en Algérie
Indice de la facilité de faire des affaires en 2012
 
L'immense défi de la création d'emplois

Si l'Europe institutionnelle maintient ses engagements, les flux d'investissements directs étrangers (IDE) d'origine européenne affichent un relatif recul. En 2012, selon les statistiques collectées par le réseau Anima Investment Network, basé à Marseille, les IDE en provenance d'Europe s'élèvent à quelque 10 milliards d'euros, très loin des 17,21 milliards de 2010 et même des 12,77 milliards de 2011.

Ce contexte en demi-teinte ne décourage pas les think tank d'imaginer un avenir meilleur pour la région. Le Femise, l'Ocemo (Organisme de coopération économique pour la Méditerranée et l'Orient) et le CMI (Centre de Marseille pour l'intégration en Méditerranée) tous établis à Marseille , ainsi que l'Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen, à Paris) s'y emploient. Très actif, ce dernier institut, créé en 2007, a par exemple organisé ou participé à pas moins de 21 manifestations durant le seul premier semestre 2013. Selon l'une de ses études*, le décentrement de l'économie mondiale vers l'Asie fait courir à l'Europe, et à l'Euromed, le risque d'une marginalisation irréversible. Contrer ce scénario catastrophe impose de développer l'intégration économique régionale, estiment les auteurs de cet ouvrage collectif dirigé par Cécile Jolly, analyste au Centre d'analyse stratégique (CAS). Parmi les nombreuses synergies et complémentarités qui permettraient d'y parvenir, les auteurs insistent sur la colocalisation industrielle , autrement dit la mise en place du partage de la chaîne de valeur entre les deux rives de la Méditerranée stratégie qui a d'ailleurs si bien réussi à l'Allemagne avec les pays d'Europe centrale, et avant elle au Japon avec les tigres asiatiques.

Ce scénario de convergence [qui] représente pour la région 14 % de richesse supplémentaire accumulée , selon le rapport Ipemed, est le seul qui permettrait de faire face à l'immense défi de la création de 40 millions d'emplois sans le Sud, nécessaires pour seulement maintenir le chômage à son niveau actuel (son taux régional moyen est approximativement de 11,4 %), tandis que la cloche démographique atteindra son point haut dans les années 2025-2030. À la même époque, l'Europe vieillie sera en déficit de quelque 20 à 30 millions d'actifs...

Martin Schulz, le président (allemand) du Parlement européen et de l'assemblée parlementaire de l'UPM, a récemment affirmé à plusieurs reprises son engagement fort pour le partenariat Euromed. Début avril, il a réuni pour la première fois à Marseille l'ensemble des présidents des Parlements nationaux des 43 pays de l'UPM, lesquels, dans la déclaration finale, ont affirmé être « résolument en faveur d'un renforcement accru du rôle de l'UPM en tant que système participatifaxé sur des projets ».

Une région très profitable au commerce européen...

... Mais l'Europe n'investit pas assez

 
La France regarde au sud, l'Allemagne à l'est

Côté français, le président de la République évite à l'évidence d'évoquer l'UPM, appellation à consonance sarkozyste. Mais il parle bien de la même chose lorsqu'il évoque « la Méditerranée des projets ». Sa volonté de la relancer est manifeste, comme en témoignent plusieurs indices. Ainsi, lors de son voyage d'État au Maroc, en avril, il a affirmé son intérêt pour la colocalisation dans chacun de ses trois discours. Dès décembre 2012, il a chargé le député PS et président de la région Paca, Michel Vauzelle, d'une mission d'exploration auprès des Psem afin de relancer le partenariat Euromed. Celui-ci devait rendre son rapport le 15 juillet. Dans les mois qui suivront, on pourrait assister à quelques initiatives françaises d'envergure.

Celles-ci pourraient s'avérer d'autant plus efficaces si, après les élections européennes du printemps 2014, Martin Schulz, candidat à la succession de José Manuel Barroso, était élu à la présidence de la Commission européenne - il serait d'ailleurs le premier élu à ce poste, en application des dispositions du traité de Lisbonne.

Un tandem pro-Euromed Hollande-Schulz, voilà en tout cas qui serait un joli pied de nez de l'histoire à Angela Merkel. Depuis 2007, la chancelière n'a pas cessé de manifester son hostilité à un partenariat d'avenir avec l'ensemble des pays méditerranéens. Désormais cependant émerge une vision nouvelle : pour l'Europe, la question méditerranéenne ne relève plus de la seule politique étrangère. Pour l'Europe, devant la montée en puissance de l'Asie et des pays émergents, le Mare Nostrum est aussi (re)devenu une question de politique intérieure, et un enjeu majeur d'avenir.

FOCUS
L'Europe, premier financeur des grands projets d'infrastructure en Méditerranée

Depuis 2002, la Banque européenne d'investissement (BEI) s'est engagée, via son instrument, la Femip (Facilité euroméditerranéenne d'investissement et de partenariat), à soutenir le développement économique et social des pays méditerranéens partenaires. Elle met ainsi en oeuvre les décisions de l'Union européenne en termes de politique de voisinage (PEV). À la date de février 2013, le cumul des financements bonifiés délivrés par la Femip depuis sa création en 2002 s'élevait à 14,2 milliards d'euros. Elle s'est ainsi affirmée au fil des ans comme le premier financeur des grands projets d'infrastructure en Méditerranée.

L'année 2012 s'est singularisée par un décaissement record de 1,5 milliard d'euros et par 1,7 milliard de financements signés pour de nouveaux projets. Pour n'en citer que quelques exemples, au cours de 2012 la BEI-Femip a ainsi prêté 245 millions d'euros à l'Égypte (métro du Caire, logements sociaux et équipements urbains) ; 170 millions à la Tunisie (financement de PME, réhabilitation urbaine, etc.) ; et plus de 1 milliard d'euros au Maroc pour divers projets : autoroute El Jadida-Saafi, routes rurales, réseau électrique, centrale solaire de Ouarzazate, plan Maroc vert, Renault Tanger, fonds d'investissement "Croissance PME innovantes" , etc.

Philippe de Fontaine-Vive, vice-président de la BEI et patron de la Femip, précise à La Tribune qu'un engagement de niveau quasi identique est reconduit en 2013. Il ajoute que, en réponse aux besoins exprimés par les populations pour plus d'équité et de démocratie économique, la Femip a recentré ses activités autour de trois axes : D'une part, nous contribuons à développer la culture entrepreneuriale, tant en appui au financement des PME que par une action ciblée de microfinance 27 millions d'euros pour 800 000 bénéficiaires. D'autre part, nous investissons dans le capital humain, avec 191 écoles et 47 hôpitaux financés. Enfin, nous oeuvrons pour la modernisation bancaire, le rattrapage du retard en infrastructures par le recours aux partenariats public-privé, et le développement de l'innovation dans les entreprises.

Par Alfred Mignot - Source de l’article La Tribune
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*La Méditerranée en 2030 : les voies d'un avenir meilleur, Ipemed, nov. 2011.

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