Vicissitudes du marché du phosphore


Lié la sécurité alimentaire globale, le marché du phosphore cherche un nouvel équilibre alors que le trouble gagne les régions exportatrices. En Europe, l'objectif est de créer un marché du phosphore recyclé qui se substitue au phosphore minéral.

 Vicissitudes du marché du phosphore
Entre 1999 et 2010, les importations de l'Asie du Sud ont doublé, tandis que l'Union européenne les a réduites de 30% en raison de pratiques d'assolement plus raisonnées.
Les phosphates sont utilisés dans l'agriculture comme engrais pour enrichir les fruits et légumes en source de phosphore. Ils peuvent également apporter de l'azote, du calcium et de l'aluminium. L'engrais de phosphate est naturellement issu de roches sédimentaires, mais il se trouve aussi dans les guanos d'oiseaux et de chauve-souris, exploités depuis des siècles. Les gisements les plus importants sont localisés au Maroc, en Amérique du Nord, sur l'île de la Navasse dans les Caraïbes, en Tunisie, au Togo, en Israël, en Jordanie, en Chine et sur certaines îles d'Océanie : Nauru, Banaba et Makatea.

Réunie à Bruxelles les 6 et 7 mars, la première conférence européenne sur le phosphore soutenable a surtout rassemblé des industriels, des experts, mais aussi des commissaires et des députés européens. L'Union européenne est dépendante du Maroc, de la Tunisie, de la Syrie et des Etats-Unis, pays exportateurs de cet élément crucial pour la production alimentaire, tandis que les pays du Sud doivent avoir accès au phosphore pour nourrir leur population grandissante : une coopération internationale est indispensable. Des tensions sur le marché international se font sentir depuis que la Chine a inscrit le phosphate comme la troisième ressource la plus importante du pays et renforcé, en 2012, les taxes à l'exportation. La tendance est à la nationalisation et au protectionnisme. Israël a récemment affirmé vouloir maintenir les réserves du pays, au moment où le numéro un mondial, l'entreprise canadienne PotashCorp, cherche à acquérir la firme Israël Chemical (ICL).

Selon une étude conduite par Dana Cordell, de l'Université Linköpings, basée en Suède, les réserves de phosphates pourraient avoir passé leur pic avant 2040, pour décroître inexorablement au cours de la seconde moitié du XXIème siècle. Or le phosphore est une ressource à la fois "critique, essentielle et rare" et ne possède pas de substitut, souligne un document de synthèse diffusé lors de la conférence, commandé par le ministère de l'environnement des Pays-Bas où existe un marché du phosphore recyclé. Le phosphore est un élément essentiel de la croissance des plantes et des animaux. Il est présent dans tous les êtres vivants et indispensables à la croissance des cellules.

Une ressource minérale en diminution

"La révolution verte a mis le monde sur la voie de la consommation massive des fertilisants et nous sommes maintenant archi-dépendants d'une ressource minérale non renouvelable finie", note Arno Rosemarin, de l'Institut suédois de l'environnement, en ouverture de la conférence. "Il n'existe aucun substitut au phosphore et le taux d'extraction augmente aujourd'hui encore plus vite que le taux d'accroissement de la population mondiale. La production de biomasse pour la bioénergie met encore plus de pression sur cette ressource, il y a compétition entre biocarburants et production alimentaire". La tendance est à une augmentation globale rapide de la consommation en fertilisants. Asie du Sud, Europe de l'Ouest et Asie de l'Est sont les trois principaux importateurs, respectivement de 22,7%, 16,2% et 14,5% des importations. Entre 1999 et 2010, les importations de l'Asie du Sud ont doublé, tandis que l'Union européenne les a réduites de 30% en raison de pratiques d'assolement plus raisonnées.

Inefficience tout au long de la chaîne

Des pertes surviennent à toutes les étapes de l'utilisation du phosphore : à l'extraction, dans la production des fertilisants, dans la production agricole, dans le gâchis de nourriture. La plupart des intervenants ont plaidé pour une utilisation plus efficiente afin de limiter les pertes. Consommer moins ? Plutôt consommer mieux : encadrer l'utilisation des fertilisants, inventer de nouvelles méthodes d'épandage et les communiquer aux agriculteurs. Aujourd'hui, seulement 30% des fertilisants épandus sont absorbés par les cultures, le reste est stocké dans les sols ou rejeté dans les mers et les lacs. Il a été question aussi de privilégier les cultures qui captent efficacement le phosphore.

Créer un marché du phosphore recyclé permettrait d'harmoniser les législations européennes, en garantissant la survie de l'industrie des fertilisants. Dr. Ilkka Herlin du Baltic Sea Action Group explique comment, pour sauver la mer Baltique de la pollution due aux fertilisants, son organisation a réussi à convaincre les industriels qu'il fallait recycler le phosphore. Le message est simple : pour protéger l'environnement, il faut impliquer les industriels en leur démontrant la rentabilité du process. Les entreprises européennes s'orientent vers la conversion des déchets contenant du phosphore en produits destinés à la consommation et cherchent à développer de nouvelles technologies de pointe de recyclage.

Anticiper le long terme

Dans le public, une question porte sur le coût de l'énergie. De fait, les nouvelles technologies invoquées consomment beaucoup d'énergie. Or celle-ci risque d'être elle aussi beaucoup plus chère dans un futur proche et amoindrir notre capacité de recyclage industriel. La réponse est simple : nous construirons des usines qui recyclent mieux tout en consommant moins. L'optimisme est de mise. Quand le prix du phosphore augmentera, les compagnies investiront logiquement dans la R&D pour le recyclage.

Selon le commissaire européen de l'environnement, le Slovène Janez Potočnik, il est primordial d'utiliser la ressource avec une plus grande efficience, surtout en temps de crise : "Aujourd'hui, nous sommes forcés de réfléchir dans le paradigme de la croissance et de l'emploi, mais l'équation est beaucoup plus compliquée que cela. Dans le futur, nous allons devoir maintenir notre qualité de vie avec un taux de croissance beaucoup plus faible. Nous devons arrêter de penser à court terme, le long terme doit être pris en compte". Le commissaire annonce que le livre vert du phosphore, qui précisera les orientations européennes en la matière, sera publié courant 2013. Pour autant, le phosphore n'est pas encore inscrit sur la liste européenne des matériaux bruts critiques. Il pourrait bientôt l'être.
Source de l’article Actu Environnement

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