Tunisie : signalisation pour une transition par Andreu Bassols


Il y a de cela un an, eurent lieu les premières élections démocratiques en Tunisie et probablement, du monde arabe. Le 23 octobre 2011, le pays célébra ses élections pour une Assemblée constituante après le triomphe de la révolution qui fit tomber le président Ben Ali, le 14 janvier 2011.


La Tunisie représente aujourd'hui l'engagement le plus ferme pour la consolidation d'un système de libertés dans le monde arabe. L'Égypte n'a aucune feuille de route et la situation est tellement chaotique que certains doutent qu'il s'agisse d'une véritable transition vers la démocratie. La Libye, après une guerre brève mais violente, n’a pas réussit à dissoudre ses milices et former une armée régulière. 

La Syrie est en guerre. Une guerre sans caserne et sans front, sans vainqueurs ni vaincus, depuis que le régime  de Bashar Al-Assad a réprimé, avec une violence redoutée, les premières manifestations. La Tunisie, cependant, apparaît comme l’exception porteuse d'espoir. Ouvert et cordial, le pays n'a jamais été un pays des extrêmes ou des extrémismes. Pourtant, le chemin depuis un système autoritaire –– qui au temps de Bourguiba était un despotisme illustré mais qui avec Ben Ali est devenu un despotisme ignorant – vers une démocratie représentative, est plein de signes que les Tunisiens ne devront pas ignorer. 

La première signalisation est celle du stop ; la nécessité inajournable d’arrêter l'émergence d'un acteur politique inattendu : les salafistes. Significativement inactifs aux temps de la dictature laïque, ils ont abandonné leur quiétisme strict d’observance de la religion pour perturber le jeu politique et se présenter aux élections avec la généreuse contribution de certains pays du Golfe. 
Ils exigent la mise en œuvre de la loi islamique et prônent le retour utopique à la pureté des temps du Prophète. Salafisme et démocratie sont incompatibles. Ennahda, le parti islamiste modéré, vainqueur des élections, le sait. Néanmoins, ils pensent savoir que les salafistes leur sont utiles car ils leur permettent de se positionner au centre de l'échiquier politique, à la même distance des laïcs et des extrémistes religieux. Le problème est que, depuis l'assaut de l'ambassade étasunienne en Tunisie, le 14 septembre, Ennahda ne peut plus ignorer cette menace plus longtemps.

La deuxième est celle du sens interdit. La Tunisie est en pleine élaboration de sa Constitution. Depuis 1956, avec l'approbation de la Loi sur le Statut Personnel, les femmes tunisiennes jouissent de droits égaux dans tous les domaines, excepté en ce qui concerne l'héritage, codifiée dans le Coran et des plus difficiles à modifier. Les femmes tunisiennes ne sont pas disposées à perdre ses droits et se diriger vers un chemin de la limitation ou de l'inégalité. Personne ne croit  que les islamistes oseront aller sur cette voie sans issue, avancer vers un retour en arrière pour le droit des femmes.

La troisième signalisation, celle de l'interdiction de s'arrêter.  Le processus constitutionnel dure plus que prévu. Le Gouvernement provisoire et l'Assemblée constituante ont été élus pour un an. Depuis l’opposition, est remise en doute la question de la légitimité du gouvernement à compter d'aujourd'hui, le 24 octobre, un an après les élections. Le processus politique ne peut pas être arrêté et les élections annoncées pour juin 2013 doivent être célébrées, si le pays ne veut pas mettre en doute la légitimité de ses institutions.

 Enfin, la dernière signalisation importante est celle du danger. Le danger d'un ralentissement économique. Le chômage des jeunes, en particulier chez les diplômés universitaires, est extrêmement élevé. Chaque année, 80 000 nouveaux emplois devraient être créés. Avec la chute du tourisme, la stagnation des exportations et la réduction des investissements en Europe, les perspectives de reprise économique ne sont pas bonnes. La Tunisie a besoin de grandir et de créer des emplois et souvent sont mentionnés notre expérience de la Transition avec les pactes de la Moncloa, pour restaurer la confiance et la stabilité.

Le 23 octobre 2011, les Tunisiens ont ouvert la voie à la démocratie dans le monde arabe. On ne sait pas encore où nous amènera le processus de changement, du peut-être mal nommé, Printemps arabes. On raconte qu'en 1967, questionné par un dirigeant occidental sur ce qu'il pensait de la Révolution française, Mao répondit qu'il était encore trop tôt pour pouvoir la juger. La Tunisie, un petit pays travailleur et sans pétrole, proche et amical, mérite que nous nous soucions de lui. Si le pays ne se consolide pas comme une démocratie stable, nous n’aurons pas besoin 200 ans pour savoir quel sera le destin des révolutions arabes.

Par Andreu Bassols - Directeur général de l'IEMed
Source l'IEMed
(Publié dans l'édition imprimée du journal La Vanguardia du mercredi 24 octobre 2012)

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