La Russie au Moyen-Orient, par Denis Bauchard


bauchard.jpgAncien haut responsable du Quai d'Orsay, Denis Bauchard nous livre sa vision du rôle de la Russie au Moyen-Orient. Un rôle particulièrement intéressant à observer à la lueur des "Printemps arabes" et de la révolte contre son allié syrien. Ancien ambassadeur en Jordanie, Denis Bauchard note toutefois que la position russe sur les changements en cours dans le monde arabe n'est pas univoque. Il vient de rentrer de Moscou, où il a participé à un colloque organisé par la Russian International Studies Association (Risa). 

La Russie des tsars, comme celle de l’URSS, a toujours marqué un fort intérêt pour le Moyen-Orient qui s’insérait dans le cadre de la politique de  « poussée vers les mers chaudes ». Il s’est manifesté dès le XIXème siècle avec la création de l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences qui va bientôt fêter son bicentenaire. Celui-ci a joué dans le passé un rôle majeur à plusieurs reprises, notamment lorsqu’il a été présidé par Evgueny Primakov de 1977 à 1985. De fait, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l’URSS a exercé une forte influence dans de nombreux pays arabes qualifiés de « progressistes », le Moyen-Orient devenant un des terrains de la guerre froide. Elle devait enregistrer succès et revers, notamment la perte de l’Egypte qui, avec le président Sadate, a basculé dans le camp occidental.

Le retour de la Russie.
Après l’écroulement de l’URSS en 1989 et la « décennie noire » qui a suivi, les positions acquises furent remises en cause. Impuissante, la Russie a du accepter une influence américaine hégémonique, qui s’est imposée à partir de la crise puis la guerre du Golfe en 1990-1991. Cependant, Vladimir Poutine, dès sa première prise de fonction comme président, devait renouer les fils tissés à l’époque soviétique et même étendre le champ des relations à deux pays, l’Arabie saoudite et Israël, avec lesquels les liens étaient faibles, voire inexistants. Il accueille de nombreux visiteurs arabes à Moscou et fait à plusieurs reprises des tournées au Moyen-Orient, comme président ou comme premier ministre. Medvedev devait agir de la même manière.
Ainsi, pour la première fois, en 2007, un chef d’Etat russe se rendait en Arabie saoudite, rendant au roi Abdallah la visite qu’il avait faite à Moscou en 2003, alors qu’il n’était encore que prince héritier. Le roi l’accueille comme « homme de paix et de justice ». Ces rencontres devaient officiellement permettre d’évoquer des sujets d’intérêt commun, notamment la question palestinienne et l’Irak, mais aussi et plus discrètement, les préoccupations russes concernant les activités subversives des mouvements islamistes en Russie ou en Asie centrale qui bénéficiaient, selon Moscou, d’un appui sinon des autorités saoudiennes, tout au moins de certains milieux proches.

La relation avec Israël, longtemps tendue, devait également s’améliorer substantiellement, avec, pour la première fois, la visite officielle d’un chef d’Etat en 2005. Celle-ci pouvait se justifier par l’intérêt traditionnel porté par Moscou à l’église orthodoxe de Terre Sainte.
 L’arrivée dans les années 1990 d’une importante communauté originaire de Russie – près d’un million de personnes -  ne pouvait que renforcer cet intérêt, à un moment où celle-ci jouait, sur le plan de la politique intérieure israélienne, un rôle de plus en plus influent. Ces rencontres répétées au plus haut niveau – le président Poutine est revenu en juin 2012 et Benjamin Netanyahou sera prochainement à Moscou – ont débouché sur des relations de coopération et d’amitié, particulièrement chaleureuses. Elles contribuent à expliquer la discrétion russe de plus en plus évidente sur la question palestinienne. Aux intérêts bien compris entre les deux pays, notamment en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, s’ajoutent une fascination et une sympathie personnelles du président Poutine pour l’expérience israélienne. L’ambassade d’Israël en Russie, composée essentiellement d’Israéliens originaires de l’ancienne URSS à commencer par l’ambassadrice elle-même, Dorit Golender, qui a fait son aliya en 1967, s’emploie à entretenir cette relation de plus en plus confiante et à développer son réseau d’influence. Cette relation bienveillante contribue à expliquer que la Russie soit très discrète sur le « processus de paix » qu’elle estime mort. A Moscou, on ne croit plus possible la création d’un véritable Etat palestinien.

Historiquement, les relations entre la Russie et l’Iran ont été souvent difficiles voire conflictuelles. Au temps des tsars, le « Grand jeu » avec la Grande Bretagne avait abouti à la mise en place d’une double zone d’influence sur la Perse, le nord revenant à la Russie, et le sud à la Grande Bretagne. Au lendemain de la IIé guerre mondiale, la tentative d’annexion du nord ouest de l’Iran peuplé d’Azeris confortait ce climat d’hostilité maintenu par la politique du Shah, ami des Etats-Unis. L’arrivée au pouvoir de l’Imam Khomeiny ne devait pas améliorer cette situation, l’URSS, état athée, figurant parmi les Satan ciblés par les ayatollahs. L’écroulement de l’URSS apporte une nouvelle donne et incite la Russie et l’Iran à se rapprocher à un moment où l’influence et la présence américaines se développent au Moyen-Orient. Une coopération entre les deux pays s’affirme dans des secteurs sensibles – gaz et pétrole, énergie nucléaire avec la construction de la centrale de Busher, domaine militaire avec la fourniture d’armes parfois sensibles - alors que, depuis 1996, l’Iran est sous sanctions américaines. La constatation de l’existence d’intérêts communs, notamment dans le Caucase et l’Asie centrale, stimule ce rapprochement. Depuis 2006 et la tension croissante entre l’Occident et l’Iran sur le contentieux nucléaire, la relation s’est renforcée conduisant la Russie, malgré, comme nous le verrons, des sources d’agacement croissant, à bloquer au Conseil de sécurité  des Nations unies tout sanction sérieuse.

Ainsi à la veille du printemps arabe, la Russie avait réussi son retour au Moyen-Orient, affirmant son intérêt et sa présence économique, voire sa coopération militaire, non seulement chez les anciens protégés de l’URSS comme la Syrie mais également avec de nouveaux partenaires comme Israël, l’Arabie saoudite, la Jordanie ou l’Iran.
Le printemps arabe devait prendre par surprise la Russie comme les chancelleries occidentales. Depuis lors, on sent de sa part un embarras, qui s’est rapidement transformé en franche hostilité à l’égard d’un mouvement qui, selon elle, menace gravement ses intérêts mais aussi la stabilité de cette région. Certes, à plusieurs reprises les autorités russes, y compris au niveau du président Medvedev, ont salué « les aspirations démocratiques des peuples arabes ». Mais ils s’étonnent de l’aveuglement des pays occidentaux face à ce qu’elle considère comme une poussée de l’islamisme radical.

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