Le grand hiver du monde arabe

Au sud et à l'est de la Méditerranée, aux portes de l'Europe, un grand trou noir stratégique est en formation. Le monde arabe, en proie à d'incontrôlables convulsions ou figé dans une frilosité sclérosante, est en passe de se marginaliser.
Les printemps arabes ont débouché sur un chaos généralisé que tentent de contrôler des Frères musulmans experts en agitation mais novices en politique. La transition tunisienne n'en finit pas, l'économie est paralysée, les institutions flageolantes. Les Libyens se livrent à leurs jeux favoris : les affrontements tribaux. Ceux-ci ont déjà fait des centaines de morts. La Syrie est à feu et à sang et l'immense Égypte, tiraillée entre l'armée et le nouveau président islamiste, est au bord du gouffre. L'Irak, pulvérisé par les Américains et de facto amputé du Kurdistan, est désormais dans la sphère d'influence de l'Iran. L'Arabie saoudite est devenue une gérontocratie empêtrée dans les problèmes de succession et incapable de moderniser l'héritage d'Ibn Seoud.
Le royaume wahabite fait la police dans son voisinage : il a dépêché, dans une indifférence planétaire, des troupes à Bahreïn pour y étouffer une contestation qu'il soutient, par ailleurs, en Syrie. Il est vrai que les révoltés bahreïnis ont la mauvaise idée d'être de confession chiite. Il ne faut pas s'y tromper : ce n'est pas un supposé élan démocratique que Riyad appuie en Syrie mais une confrontation des sunnites contre une secte chiite, les Alaouites, qui domine aujourd'hui le pouvoir à Damas. Idem pour le minuscule mais très riche Qatar qui, de surcroît, profite de l'effacement des grands pays arabes pour tenter de jouer un rôle.

La malédiction de la décadence
L'Algérie politiquement ossifiée par une armée qui tire toujours les ficelles, arc-boutée sur les mythes fondateurs vermoulus de la guerre d'indépendance, traumatisée par les années terribles de la lutte sanglante contre les maquis islamistes, semble figée comme une statue de sel.
Seul le Maroc a amorcé dans le calme les réformes qui s'imposent, mais il reste beaucoup à faire, notamment pour établir une distinction claire entre les finances publiques et celles de la famille royale.
Le monde arabe semble frappé de malédiction. Après les heures glorieuses des califats omeyyade (VIIe, VIIIe siècle) puis abbassides (VIIIe- XIIIe siècle) qui firent successivement de Damas et de Bagdad les capitales d'un immense empire, l'heure du déclin arriva. Bagdad fut prise par les Mongols, puis ce fut au tour des Ottomans et de la Sublime Porte de rayonner sur le monde musulman. La disparition du royaume de Cordoue acheva au XVe siècle d'anéantir les vestiges de la grandeur arabe. Enfin ce fut la colonisation européenne contre laquelle se forgea le nationalisme arabe moderne - idéologiquement influencé par la Turquie de Kemal Atatürk - qui se voulait laïc. Mais les partis qui s'en réclamaient, tels le Baas irakien ou syrien, ont disparu corps et biens. Dans ce désert il ne reste que l'islam politique. C'est-à-dire pas grand-chose.
Par Pierre Beylau
Source de l'article LePoint

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