Justice, Environnement des Affaires et Investissement au Maroc : quelle osmose ? Quelle symbiose

Quelle intimité y a-t-il entre le climat de l’investissement dans un État et son impartialité judiciaire ? Quelle trame se tisse entre les filaments et les fibres d’investissement dans un pays et sa mécanique juridique ? Quelle osmose y a-t-il entre la séduction d'un territoire économique et sa rectitude juridique ? Tel est le dessein de ce propos pour le cas du Maroc.


Quel sanctuaire et quelle connivence y a-t-il entre la coulée du business et le flot des affaires économiques dans un État, sa probité et son impartialité judiciaire ? Quelle trame se tisse entre les filaments et les fibres d’investissement dans un pays et sa mécanique juridique ? Quelles osmose et symbiose y a-t-il entre le climat de l’investissement dans un territoire économique et sa rectitude juridique ? Tandem et duo idyllique et intime assurément.
Tel est le dessein de ce propos : rétrospectivement, à l’occasion des dix ans de règne, le discours commémoratif du 24 aout 2009 du Roi Mohammed VI scanna et mit l’Index sur la grande pandémie de l’artère socioéconomique du Royaume et astreignit le Gouvernement sortant à entreprendre une subtile réécriture de l’acte juridique et judiciaire gravitant dans l’orbite des axes suivants :
1- Le raffermissement des garanties de l’indépendance de la justice en assurant au conseil supérieur de la magistrature une entité constitutionnelle.
2- La modernisation de son cadre normatif.
3- La refonte, la réforme et la mise à niveau des structures et des ressources humaines de la justice.
4- L’amélioration de l’efficacité judiciaire.
5- L'ancrage des règles de moralisation de la justice.
6- La mise en œuvre optimale de la réforme.
L’Installation, par le Souverain le mardi 8 mai dernier, de la Haute Instance du Dialogue national sur la Réforme de la Justice repasse et potasse sur le marbre de l’analyse et de l’actualité la plus épineuse, la plus sensitive et endolorie des réformes, en l’occurrence, la refonte du système judiciaire.
Par le biais de cette pose royale, le Souverain Marocain exhume et ressuscite une trépassé et une dépouille longtemps enterrée dans son cercueil et accule l’exécutif Benkirane à un gisement extrêmement miné et crucial pour le climat de l’investissement et des affaires économiques au Maroc.
D’emblée, on peut avancer que la justice est la grande tare de l’environnement des affaires au Maroc : celle-ci est très souvent inerte et lente (délais de procédures, report d’audiences), incertaine (conflits de juridiction, difficulté à obtenir l’exécution des décisions de justice), peu prévisible (corruption au niveau des experts judicaires) ou insuffisamment transparente (manque de diffusion de la jurisprudence).
L’avènement, au Maroc, des juridictions commerciales n’a pas foncièrement modifié la perception négative et souvent péjorative de notre système judiciaire auprès des investisseurs nationaux et étrangers : Le statut d’inamovibles dont jouissent les magistrats du siège ébrécha et amoindrit l’efficacité de la lutte contre la corruption.
Une étude portant sur le climat des affaires et la politique de l’investissement réalisé au compte du Maroc par les auteurs de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) dénota que l’averse des recours aux procédures d’insolvabilité camoufla des faillites frauduleuses, mit en cause la probité des professions liées à la Justice, des métiers dont les pratiques mettent à mal la crédibilité de l’institution judiciaire auprès d’investisseurs et l’impréparation des magistrats et des auxiliaires de Justice, à défaut de formation technique indispensable aux traitements des affaires commerciales.
À notre sens, le discrédit de l’appareil judiciaire marocain, l’inexécution des jugements décrédibilise tout le système judiciaire et constitue une entrave rédhibitoire à l’encouragement à l’investissement et autant la justice d’un pays est gangrenée par la corruption, autant l’investissement est minuscule et rachitique.
L’étude sur le terrain des obstacles à l’investissement au Maroc par l’Institution de Brettons Woods, en l’occurrence, la Banque Mondiale en est la pièce à conviction.
En effet, ladite enquête sur le climat de l’investissement a révélé que 30 % des entreprises considèrent la résolution des litiges par les tribunaux de commerce comme obstruction et obstacle majeur pour leur activité économique. Cette même contrainte avait été déjà identifiée en 2004 par une même proportion d’entrepreneurs lors de l’enquête réalisée conjointement par la Banque Mondiale et le Département du Commerce et de l’Industrie dans le fameux rapport Investment Climate Assessment ICA.
Les entreprises étrangères implantées au Maroc sont plus sensibles à ce problème : 60 % de l’échantillon (aussi bien grandes firmes que PME) considère le duo Justice/Incertitude judiciaire comme la deuxième pierre d’achoppement de l’environnement des affaires derrière la fiscalité qui occupe la première place, soit 56 % du panel interrogé.
Les entreprises domestiques sont moins préoccupées par le fonctionnement des tribunaux, qui n’occupe que la 8éme place dans le classement des contraintes. Néanmoins, la défiance à l’égard de la justice est générale pour toutes les catégories d’entreprises du panel interrogé.
En sus, plus de 56 % de ces promoteurs économiques considèrent que les tribunaux ne sont pas impartiaux et 60 % pensent que leurs décisions sont injustifiées.
Par ailleurs en termes de Benchmarking, le niveau de contrainte que représente le fonctionnement de la justice au Maroc est remarquablement élevé par rapport à d’autres pays émergents. Seules les entreprises au Brésil et au Cambodge se plaignent davantage. En Turquie, au Mexique ou au Chili, elles sont moins de 15 % à considérer la justice comme une contrainte.
L’année écoulée, le World Justice Project Rule of Law Index classa le Maroc dans la 51e place sur 66 pays ce qui exhibe l’hiatus abyssal que le Maroc doit colmater pour redonner crédibilité à l’appareil judiciaire.
En sus, l’Indice de perception de la Corruption (IPC) 2011 de Transparency International verrouille le Maroc dans la 85e position en dégringolant de 8 places entre 2007 et 2011 ce qui révèle et montre "l’hydre" de la corruption comme facteur de dissuasion des promoteurs économiques.
Ardu et épineux, dans un tel environnement de subornation, d’iniquité, de corruption, de partialité judiciaire, être candidat au capital étranger, séduire des investisseurs étrangers et rendre le climat de l’investissement et de l’environnement des affaires juteux et alléchant au Maroc, alors que l’Économie marocaine demeure souffreteuse et chétive sur ce volet. Et les investisseurs étrangers sont insatiables et inassouvis au regard d’un système judiciaire tendancieux et inique. Uniquement, à notre sens, son impartialité peut désaltérer et étancher leur soif d’investissement.
L’historien français du Siècle des Lumières Jules Michelet n’a-t-il pas dit que "La justice doit être impartiale et bienveillante pour être tout à fait juste". Il nous semble que la mécanique judiciaire constitue le lubrifiant qui assure le bon fonctionnement de l’appareil productif et constitue un facteur déterminant pour la confiance des entrepreneurs, et de facto influence leur décision d’investissement. À défaut, si l’écrivain et politicien français, Marie-Joseph Chénier disait : "quand vous avez oublié la justice, ne vous étonne pas que le ciel vous punisse". J’irai plus loin, sur le plan économique, pour avancer "Quand vous avez oublié la justice, ne vous étonnez pas que le désinvestissement vous punisse".
À l’appui de notre allégation et en vertu des comptes de la balance des paiements portant l’autographe des auteurs du rapport de l’office de change, l’analyse du ratio Recettes nettes/Recettes brutes des Investissements Directs Etrangers (IDE) révèle que le gain net en termes de flux des investissements extérieurs n’a été que 36,1 % en 2004 et 32 % en 2005. Dite autrement, sur 100 dhs investis au Maroc respectivement en 2004 et 2005, l’économie en exporte sous diverses formes (désinvestissement inclus) 63,9 dhs et 68 dhs et n’empoche que 36,1 et 32 dhs.
Selon les derniers chiffres officiels et provisoires de l’Office de Changes (Rapport Balance des paiements 2009 et 2010), plus de la moitié de la manne financière extérieure (50 % en 2009 et plus de 52 % en 2010) est exportée à l’étranger sous diverses formes et n’est pas réinjectée dans le tissu économique marocain ce qui nous laisse poser moult apostrophes sur les différentes raisons de la "non-inoculation" de cette ressource financière des promoteurs étrangers dans le tissu système productif marocain : la justice et par ricochet la confiance ne sont-elles pas des mobiles, en filigrane et en catimini, de cette tergiversation et cette pusillanimité des hommes d’affaires ? Ce qui met d’actualité économique la célèbre citation de William Shakespeare "À qui peut-on faire confiance dès qu’il s’agit de l’Argent ?"
C’est dans ce sillage et eu égard aux distorsions évoquées ci-haut qu’il faut inscrire l’action d’urgence qui doit être portée sur la justice pour redorer son blason en rupture avec les accumulations négatives issues des approches unilatérales, partielles, ainsi que partiales et redonner crédit à la mécanique judiciaire auprès des promoteurs économiques, car dans une économie de marché jalonné par la crise économique qui sape et mine actuellement toutes les économies, les facteurs les plus importants et le sésame à l’investissement sont : L’optimisme, la transparence et la Confiance.
Si Charles de Gaule disait "Rétablissons la confiance et l’intendance suivra", j’en mettrai la main au feu en disant : "Rétablissons la justice et l’investissement suivra". L'actuel Gouvernement réussira-t-il à rétablir et à cicatriser cette endémie et épizootie de la Justice tout en lui insufflant âme pour qu’elle soit âme sœur de l’Investissement ?
Par Mustapha Maghriti - Docteur en Economie Internationale / Inspecteur Divisionnaire des Finances
Ministère de l'Economie et des Finances, Rabat, Maroc
Source de l'article Les Echos

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