Méditerranée - « Médias sociaux riment avec changement »

La liberté de la presse et son rôle traditionnel sont actuellement au cœur des craintes et des espoirs des journalistes après les révolutions arabes.
Les médias – et particulièrement les réseaux sociaux – ont joué un rôle déterminant dans les révolutions arabes. La liberté d’expression qui s’est propagée grâce à l’utilisation des médias sociaux, comme Facebook et Twitter, a permis une accélération sans précédent du processus de changement politique dans cette région.
Le parlementaire européen Patrick Le Hyaric revient d’abord sur le fondement de la liberté de la presse. Il affirme que la liberté d’informer et d’être informé est dans le corpus de toutes les chartes des droits de l’homme. Il est essentiel de disposer d’une variété d’informations. Selon lui, « il se construit actuellement un espace médiatique arabe qui se connecte à l’espace médiatique mondial ». Il estime d’ailleurs que « c’est le réel qui fait bouger les moyens de communication », alors que certains observateurs pensent, au contraire, que les médias sociaux sont à la base du sursaut de liberté dans les pays arabes.

Pour Simon Busuttil, élu européen et membre de la délégation de l’Assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée, « la liberté de la presse est un combat permanent. En Europe, beaucoup de plaintes affluent régulièrement » concernant des abus de la part de certains gouvernements ou de certains hommes politiques.
Il considère d’autre part que les « médias sociaux ont été un substitut aux médias traditionnels », quand ces derniers étaient absents ou biaisés. C’est ce qui s’est passé avec les régimes autoritaires avant de tomber. C’est le cas actuellement de la Syrie où, en l’absence de correspondants pour couvrir les événements, les citoyens sont devenus eux-mêmes des journalistes témoins.
Selon le parlementaire européen Damien Abad, dans un autre contexte, on trouve souvent des blogueurs éduqués qui veulent s’émanciper dans les pays où le pouvoir est hermétique. « Ils ont la volonté de mettre sur la place publique des sujets interdits en société », affirme-t-il, qualifiant ces blogueurs de « cyberrévolutionnaires ». Les réseaux sociaux sont devenus un moyen pour ouvrir une société fermée sur elle-même, explique M. Abad, affirmant que les médias sociaux peuvent également être complémentaires à la démocratie représentative dans les pays démocratiques.
Le cas de l’Algérie est un exemple atypique mixant les deux systèmes. Pour le blogueur algérien Kamel Daoud, « l’Algérie n’est pas une dictature, mais elle n’est pas une démocratie. Les médias ne sont pas censurés, mais ils ne sont pas libres ».
Il explique en outre les raisons du manque d’influence des blogueurs dans son pays par le taux peu élevé de pénétration de l’Internet en Algérie où il y a déjà un minimum d’espace de liberté. Ainsi, les appels à manifester, bien que nombreux, ont été peu suivis par la population.
Kamel Daoud estime toutefois que le Web est un espace alternatif qui a permis l’émergence d’une presse qui a une plus grande liberté que les médias traditionnels.
Le journaliste et blogueur libyen Ahmad Alfaitouri est lui aussi prudent sur l’influence des médias sociaux sur la révolution dans son pays. Au tout début des manifestations, les autorités ont coupé tous les moyens de communications, Internet, réseaux téléphoniques, etc., affirme-t-il. Selon lui, « c’est le printemps arabe qui a mis en valeur les médias sociaux et non le contraire ».
Ana Gomes, Portugaise et membre de la sous-commission des droits de l’homme au Parlement européen, est blogueuse depuis 2003. « Je blogue toute la journée quand je suis en mission d’observation, lors de mes divers déplacements à l’étranger », affirme-t-elle. Son souci principal est la défense des droits humains, à travers l’initiation des experts en la matière aux questions de la sécurité et de la défense. Pour elle, les médias sociaux ont joué un rôle important dans les révoltes du monde arabe, mais aussi chez les « indignés » dans les pays occidentaux. Toutefois, les blogueurs sont dans une situation délicate. « Leurs efforts ne sont pas suffisants. Il faut s’organiser », ajoute-t-elle. Mme Gomes estime en effet que « les blogueurs doivent passer un palier dans la vie politique. Les partis politiques ne peuvent être dépassés. Ils sont un pilier essentiel de la démocratie ».
Slim Ayedi est tunisien. Il se considère comme un journaliste qui s’est converti en blogueur. Pour lui, « médias sociaux riment avec changement ».
Il raconte qu’en 2010, il a acheté une caméra et commencé à publier ses films sur Internet. Il posait des questions aux jeunes, leur demandant ce qu’ils veulent. Et il a rapidement été « suivi » par 3 000 internautes. Depuis, sa vie a changé. Son slogan : « Si vous n’avez pas de média, soyez vous-même un média ». Selon Slim Ayedi, les raisons de son succès est le manque de crédibilité des médias publics en Tunisie. Il regrette par ailleurs que les blogueurs indépendants tunisiens aient été écartés des élections. N’ayant aucune structure officielle, ils n’ont pas reçu des subventions, contrairement aux partis politiques. Il s’inquiète ainsi pour leur avenir.
Modeste, il affirme que « les vrais révolutionnaires sont les Tunisiens qui ont participé aux manifestations à Casbah I et II, ce sont les milliers de Syriens qui sont tués, blessés et torturés par le régime ». Le rôle des blogueurs a été de traduire et de transmettre la révolution, ajoute-t-il.
Le succès des blogueurs et des médias sociaux a néanmoins son revers. « C’est un instrument avec ses avantages et ses défauts. Il faut profiter de son potentiel et se méfier des manipulateurs », affirme pour sa part l’élue européenne Marietje Schaake. Elle donne l’exemple des pressions en Iran et en Chine sur les blogueurs qui sont harcelés, emprisonnés et torturés. C’est le cas aussi en Syrie, où les autorités ont autorisé dernièrement les médias sociaux pour mieux surveiller et arrêter les opposants. Elle plaide ainsi pour un Internet sans censure et sans surveillance.
Le « printemps arabe » a vu également naître l’usage de plus en plus fréquent des informations postées sur les médias sociaux, dont Facebook, Twitter et YouTube.
« Les révoltes ont fait évoluer le travail des médias traditionnels », affirme ainsi la journaliste libanaise Tania Mehanna. Ce changement fait relever un défi important selon elle, celui de toujours s’assurer des éventuelles manipulations et des fausses informations. « C’est l’une des responsabilités du journaliste », ajoute-t-elle.
De son côté, le reporter d’al-Arabiya dans les territoires palestiniens, Khaled Bachir, estime que « la révolution doit se poursuivre, notamment dans les médias et parmi les journalistes, qui doivent se diriger vers un journalisme d’investigation ».
En effet, avec la fin des dictatures, certains journalistes doivent réapprendre leur métier, et appliquer la déontologie et l’éthique journalistique, tellement bafouée durant des décennies.
Malgré un optimisme évidement, les gens de presse restent craintifs concernant la période postrévolutionnaire, notamment avec l’arrivée des islamistes au pouvoir.
En effet, les médias publics ont été soumis au contrôle strict des anciens régimes issus d’un parti unique ou de l’armée, alors que les médias privés suivent les agendas et les intérêts personnels de leur propriétaire, qu’ils soient des hommes d’affaires locaux ou des gouvernements étrangers comme les pays du Golfe.
Aujourd’hui, les journalistes risquent d’être confrontés à de nouvelles limites, religieuses cette fois, et qu’il sera encore plus difficile à dépasser.

Source Lorientlejour.com
http://www.lorientlejour.com/category/Dossier+Proche-Orient/article/734751/%3C%3C+Medias_sociaux_riment_avec_changement+%3E%3E.html

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