« Méditerranée, noeud de civilisations ! Pour un appel conjoint aux peuples Arabes et Européens »

Intervention prononcée à l'invitation de l'association languedocienne RIQUET 3000 - Agde, le 28 juillet 2011,








Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs,
Mes premiers mots seront des remerciements pour dire combien c’est avec joie que j’interviens devant vous, aujourd’hui, sur un sujet aussi important, immense sujet.
Si vous le permettez, je commencerai par quelques remarques liminaires.
En effet, à l’annonce de ce sujet à traiter, plusieurs préoccupations personnelles ont traversé mon esprit. Elles ont pu déterminer l’approche donnée à ce traitement. Je veux ici les restituer.

1 – Première remarque liminaire :
J’assistais au mois de janvier dernier 2011 à une énième conférence de la Fondation Res Publica présidée par Jean-Pierre Chevènement.
Le sujet avait été arrêté quelques mois auparavant : « Quelles perspectives pour la France en Méditerranée » (1) ?
Or, les hasards du calendrier faisaient qu’en Janvier 2011 - et ce depuis cinq semaines - le printemps Tunisien avait commencé ; que le Maghreb s’agitait de part en part, et que nos élites étaient frappées d’un mutisme sidérant.
Dans ce contexte, inutile de dire que la salle de conférence de l’Institut du Monde Arabe était pleine à craquer. Un parterre d’élites diplomatiques, politiques et intellectuelles venues ici chercher une grille de compréhension des événements en cours.
A la tribune, le conseiller du Président Sarkozy, M. Henri Guaino et l’ancien ministre des affaires étrangères, le socialiste Hubert Védrines.
Je vous inquiète à souhait : rien ne fut dit lors de cette conférence confirmant ainsi la cécité ou l’incapacité à parler de nos élites. Toutes décevantes, hormis un ministre libanais remarquable, - M. Georges Corm - le seul à prendre la mesure véritable de l’élan qui allait secouer le monde arabe, adoptant une posture dynamique.
Lors de cette conférence, Henri Guaino essaya en vain de justifier l’échec magistral de l’Union pour la Méditerranée, et pire Hubert Védrine commença son exposé par cette sentence désastreuse : « la Méditerranée, c’est un mot pour les discours (…) c’est un faux concept » !
En un mot : la Méditerranée, ça n’existe pas !
En cet instant, mon sang ne fit qu’un tour.
Je me suis promis de répondre à ce que je tiens pour une ineptie.
Cette intervention est aussi - en quelque sorte - une réponse à … Hubert Védrine.

2 – Deuxième remarque liminaire :
A la fin du mois de février dernier, en pleine effervescence internationale marquée par les mouvements en Tunisie, en Egypte, en Mauritanie, en Algérie, au Maroc, en Jordanie, au Yémen… je tentais une analyse articulant un message d’espérance tempéré d’une crainte : la réponse du capitalisme à ces mouvements d’émancipation bousculant les pouvoirs en place, cette réponse serait terrible. Il nous fallait d’ores et déjà chercher une parade.
J’intitulais ce texte « Appel aux peuples du Monde : L’élan magnifique des peuples et le mur du capitalisme » qu’imprudemment je complétais en indiquant entre parenthèse : 1ère Partie.
Texte descriptif et trop peu analytique certainement.
Je reçus le message suivant du philosophe Manuel de Diéguez : « J’ai bien lu votre article. J’attend avec impatience votre deuxième partie », autant dire que le commentaire du philosophe était sans ambiguïté. Il me disait « un peu court Monsieur ».
Cette intervention tient lieu de suite bien qu’elle englobe la pensée du premier texte.
C’est dire combien j’attends avec impatience vos réactions à tous qui seront les premières avant sa diffusion plus large.

3 – Troisième et dernière remarque liminaire :
C’est le bitterrois qui parle ici. Celui qui naquit dans le quartier populaire de la Dullague puis grandi dans celui de La Devèze.
C’est le bitterrois de la périphérie de la périphérie de la périphérie.
Quartier périphérique du centre ville ; Béziers périphérie de la capitale régionale Montpellier ; Montpellier périphérie des mégapoles Marseille, Toulouse et Barcelone ; Elles-mêmes périphéries des centres européens. Nous avons tous en tête la « Banane bleue européenne » qui s’étend de Londres à Amsterdam, Bruxelles, la Ruhr, et le bassin rhodanien pour virer vers Milan.
La Devèze à Béziers est bel et bien la périphérie de la périphérie de la périphérie…
De cette réalité prégnante – qui n’aurait en rien déplu à Fernand Braudel chantre de la géohistoire – je ne pouvais que concevoir ce sentiment d’infériorité face aux élites aujourd’hui régulièrement croisées.
Je le dis car ce sentiment gêné est souvent partagé. Je le dis pour exprimer un regret et une satisfaction.
Tout est en train de changer.
L’axe des pouvoirs et les axes géostratégiques - qui depuis la Renaissance - ont imposé la suprématie du Nord de l’Europe quand le capitalisme commerçant fit des ports d’Amsterdam, de Hambourg, de Nantes et de Bordeaux, les dignes successeurs des grands ports méditerranéens : Venise, Gènes, Naples et Barcelone – tout est en train de s’inverser.
Vous le savez, c’est à la Renaissance que s’imposa l’axe européen Nord-Sud, que le Nord protestant s’imposa à un Midi et plus largement à des puissances impériales finissantes – notamment l’Espagne - que l’on avait peu à peu soumises.
L’épisode colonial – 1830 – 1960 - ne peut être perçu comme une véritable inversion de paradigme même si échanges culturels il y eut.
Je prends le risque ici d’affirmer que cette axiologie est entrain de s’inverser : nous allons assister à un retour du Sud, à un retour de la Méditerranée.
Béziers, le Languedoc – de nouveau – redevenant rivage du nouveau centre.
D’ailleurs, le Nord de l’Europe déjà regarde vers le Sud. L’Afrique sub-saharienne regarde vers le Nord : tous confluent vers la Méditerranée.
Cette réalité mésestimée par nos élites françaises l’ait encore plus par les élites allemandes. Pas forcément par les stratèges russes, plus instruits à ces subtilités.
Le retour central de la Méditerranée est une donnée majeure pour comprendre notre époque.
***
Mais abordons – si vous le voulez bien - le sujet central !

« Méditerranée, noeud de civilisations ! »
- Pour un appel conjoint aux peuples Arabes et Européens -

Introduction
Nous vivons aujourd’hui un moment historique particulier, exceptionnel, que nous pourrions définir à travers quatre constats :
1) Nous vivons la fin de la fin de Yalta :
Après la chute du mur de Berlin en 1989 puis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, nous avons assisté à la domination hégémonique du système capitaliste, sous la direction Impériale des Etats-Unis d’Amérique.
Nous assistons actuellement à la contestation magistrale de l’Imperium anglo-américain et protestant.
2) Nous sommes entrés dans l’ère de la globalisation planétaire :
La multiplication des médias de masse et le succès grandissant de la télévision comme d’Internet entraînent une globalisation accélérée, un rapprochement des modes culturels.
Les peuples assistent en direct aux évènements les plus importants en tous points de la planète.
L’examen du mode de vie de chacun, le spectacle des réactions collectives … rapprochent inévitablement les Hommes, font tomber les barrières comme les Mythes.
On ne peut plus regarder l’Occident et l’Europe comme hier - maîtres hautains et arrogants, puissances industrielles et culturelles inégalables – quand le monde entier pu contempler le spectacle diffusé par la première chaîne européenne – TF1 – à 19H45, montrant LOANA s’accouplant dans une piscine en Kit avec un blondinet aussi bronzé qu’inculte.
Quoi donc, mais c’est cela l’Europe ?
C’est à ces gens là que nous – peuples infâmes – acceptons de nous soumettre ?
Nous pouvons ainsi comprendre comment – finalement - tout ordre peut être remis en cause. Utilement.
3) Nous vivons une étape particulière du processus anthropologique : nous sommes en train d’assister à une étape essentielle de l’éveil des consciences, et ce, en tous points de la planète :
Les progrès technologiques et médicaux ont connu depuis 150 ans une avancée fulgurante.
Ces progrès en matière de transports, de santé, de médias, de confort matériel facilitant la vie quotidienne de millions d’Êtres humains n’ont pas été suivis par des progrès similaires sur le terrain politique.
Les mécanismes d’objectivation de la domination sont plus subtils mais les inégalités ont sans cesse progressé.
Nous assistons actuellement - par une conjonction de plusieurs phénomènes - à l’éveil d’une conscience politique mondiale.
« On veut plus de Démocratie, de Justice, d’Egalité » crient les manifestants sur toutes – ou presque – les places des capitales du Monde.
Ce rattrapage politique est lourd de conséquence. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle de grandes révolutions politiques et philosophiques.

4) Enfin, nous vivons une crise majeure du capitalisme anglo-américain et protestant: nous sommes en train d’assister aux derniers soubresauts de l’Imperium Anglo-américain :
Vous le savez, nous assistons actuellement à la fin de la domination du système Dollar.
La crise du système économique et financier va s’accélérer.
Les Etats-Unis vont ainsi connaître une lente mais sûre perte d’influence au profit – mais qui peut vraiment l’affirmer ? - de la Chine.
Cette perte d’hégémonie du capitalisme anglo-américain est déjà amorcée mais vraisemblablement celui-ci va tenter de résister.
Comment ?
Nous pouvons ici nous assurer de la pertinence de la sentence de Lénine : La Guerre est toujours le stade ultime du capitalisme.
***
Face à ces bouleversements immenses, nous pouvons nous interroger, simples fétus de pailles sur l’océan de l’histoire des Hommes ou acteurs capables de tracer des perspectives, de donner les outils susceptibles d’orienter le destin des Hommes comme des peuples.
Je ne vois pas que – nous, militants humanistes et républicains - nous n’ayons d’autres choix que de chercher la voie – même difficile – du dépassement de ces impressionnantes difficultés.
Autrement dit, devons-nous nous résoudre à la Guerre ? Bien sûr que « non » !
Alors recherchons puis construisons la paix à travers cette affirmation :
L’éveil politique mondial se heurte actuellement au mur du Capitalisme (1ère Partie) … Mais l’exemple Méditerranéen pourrait offrir un ensemble de réponses permettant d’élaborer un nouveau concert des Civilisations (2ème Partie)
***
PARTIE I - L’éveil politique mondial se heurte actuellement au mur du Capitalisme
Nous assistons depuis maintenant des années à un élan manifeste des peuples (A) qui remet en question les modes d’organisations capitalistes. Il faut cependant l’admettre, cet élan court le risque de se fracasser contre le mur du capitalisme (B)

A – L’élan manifeste des peuples :
L’élan manifeste des peuples a ceci d’étonnant qu’il concerne à l’heure où nous parlons tant les peuples arabes que les peuples européens.
Si nous restons dans l’illusion d’un différentiel, nous pouvons constater à y regarder de plus près que cet élan obéit à une démarche semblable.

1 – L’élan des peuples …
a) L’élan de peuples arabes, tout d’abord.
La figure de Mohamed Bouazizi, ce petit vendeur ambulant tunisien, qui s’immola à Sidi Bouzid (au centre de la Tunisie) le 17 décembre 2010 est devenue l’incarnation d’une contestation générale qui secoua tout le monde arabe.
Il suffit que la police municipale confisque une vulgaire charrette de fruits et légumes – au motif que ce jeune homme de 26 ans, diplômé mais chômeur, n’avait pas les autorisations nécessaires - pour que se déclenche le plus vaste élan de révoltes connu dans tout le maghreb.
Etonnante leçon politique.
Tunisie, Algérie, Maroc même, des immolations semblables se propagèrent presque partout défiant jusqu’aux règles premières de l’Islam.
Nous connaissons la suite : du Maghreb au Machrek … l’effet domino entraîna l’Egypte, la Jordanie, le Yémen, Bahreïn, puis la Syrie.
Plus de huit mois après, nous pouvons constater que rien ne permet d’entrevoir une sortie de crise et rapide et constructive.
Nous devons rajouter à ce tableau le théâtre Libyen comme illustration parfaite de notre démonstration. Nous allons y revenir.
Nous devons noter que durant cette période l’armée française est intervenue sur un théâtre africain particulier - la Côte d’Ivoire - illustrant que – certes de façon plus sourde - l’élan des peuples d’Afrique noire était aussi réel.
Enfin, éclairage brillant porté sur ce tableau aussi inquiétant qu’impressionnant : la situation catastrophique en Palestine et plus particulièrement à GAZA, mêlant hypocrisie et impuissance voulue dans un drame à ciel ouvert.
Pourquoi refusons-nous – nous européens - de répondre à la vraie question ?
Parce que le piège infernal nous concerne aussi.

b) – L’élan de peuples européens, également.
Ici même, en Europe, nous assistons - et ce n’est qu’un début - à l’affirmation d’une contestation magistrale des peuples contre leurs dirigeants.
Qui pouvait imaginer qu’en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Irlande … des manifestations de plus en plus violentes allaient se multiplier ?
Nous savons que la crise politique qui attend l’Europe sera impressionnante dans les mois qui viennent. Tout ne fait que commencer.
***
Nous vivons - ici au Nord, là au Sud - un phénomène nouveau et général de reprise de parole par les peuples. Cet élan profondément démocratique annonce un retour magistral de la Politique.
« La démocratie, c’est nous ! » disent tous ensembles ces peuples.
Cela signifie : « nous voulons décider pour nous-même, pour nos enfants ».
Ce message, nous le ressentons pleinement.
Il nous parle étonnamment. Nous mesurons sa force et le recevons pour ce qu’il est – un message révolutionnaire.
Révolutionnaire, car il conteste les modes de décisions mis en place depuis peu en Europe et peu après la décolonisation - dans les pays arabes - nous sommes prisonniers d’un système non démocratique au Sud comme au Nord.
Tous ces mouvements visent – tout simplement mais c’est essentiel - à contester le mode d’exercice du pouvoir confisqué par de nouvelles oligarchies.

2 – … remet en cause un type d’exercice du pouvoir
Tout naturellement, cet élan général des peuples remet en cause un type d’exercice du pouvoir.
a) dans le monde arabe bien sûr…
Bizarrement, c’est chez nos voisins arabes que le détournement démocratique nous apparaît le plus flagrant alors qu’il est ignoré chez nous. Plus pour très longtemps.
Nous avons tous en tête les images de ces pouvoirs corrompus largement cautionnés par nos élites … en Tunisie, en Algérie, au Maroc, en Egypte.
Tous ces régimes conjuguant détournements des richesses, libertés publiques et libertés individuelles largement réduites poussant les peuples en souffrance à venir quémander en Europe même une espérance qui leur était jusque là refusée.
Ce système a été cautionné par nos élites - je le répète - ce sont nos élites qui ont garantie la pérennité de ces régimes autocratiques corrompus.
Et avec quelle facilité…

b) en Europe :
En Europe même, le système politique mise en place est une immense entreprise de détournement démocratique.
Que l’on en juge.
Trois éléments devraient nous alerter :
1 – L’adoption en France même, par un Parlement réuni à la hâte en 2008, de dispositions constitutionnelles européennes après que le peuple consulté par Referendum l’a rejeté en 2005;
2 – La capacité des institutions politiques nationales de se soumettre au desiderata d’instances européennes non élues qui disposent notamment de la capacité de subventionner les pertes du système bancaire par une hausse des contributions, aggravant ainsi la situation économique et sociale de millions de femmes et d’hommes ;
3 – La présence renforcée de l’OTAN – sous commandement américain - en Europe après que l’ennemi soviétique a disparu ;
Nous pourrions allonger la liste pour conclure notamment qu’après les peuples, les parlements nationaux n’ont plus de réels pouvoirs.
Nous pourrions ici entrer dans un débat technique mais les propos éclairants et magistraux de Pierre Mendès France suffiront :
Dans son discours prononcé à l’Assemblée nationale le 18 janvier 1957, Pierre Mendès France dénonce les risques du Marché commun – déjà - parle de ce risque majeur :
« L’abdication d’une démocratie – dit-il - peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale »(2)
Pour qui veut faire preuve d’un peu d’honnêteté intellectuelle, nous pouvons juger que nous sommes aujourd’hui en Europe dans cette situation décrite.
Enfin, l’Europe a renoncé à sa défense, délégué celle-ci à une instance sous commandement américain : l’OTAN.
Qui renonce à sa défense renonce à sa liberté souveraine.
L’Europe est soumise aux Etats-Unis d’Amérique qui n’ont pas les mêmes intérêts que nous.
D’ailleurs, ils s’échinent depuis l’abandon de la parité Dollar-Or en 1971 à faire payer à l’Europe un niveau de vie dont nous assumons tous les excès.
Nous pourrions multiplier – ici - les exemples nombreux.
L’Europe n’est plus constituée de nations souveraines mais soumises à des cénacles techniques.
Nous ne sommes plus – véritablement - en démocratie.
C’est cela que les peuples européens sont en train de mesurer aujourd’hui et visiblement ils se préparent à contester le sort qui leur est fait, non sans raisons.
Mais cet élan des peuples court le risque de se fracasser sur le mur du capitalisme…

B – … se fracasse sur le mur du capitalisme
1 – les enjeux capitalistiques…
Les enjeux capitalistiques sont en effet énormes.
En Afrique d’abord, où les ressources énergétiques indispensables font l’objet d’une attention particulière.
Nous le savons tous, pétrole, gaz, or, diamants et métaux rares sont exploités directement ou indirectement par des multinationales occidentales pour la plupart.
Mieux, de nouvelles activités suscitent une compétition tout aussi importante : téléphonie, industries, réseaux de distribution, réseaux d’approvisionnement en eau, gestion des ports sans parler des toujours indispensables productions agricoles.
Les infrastructures sont l’objet de marchés de plus en plus importants : routiers, ferroviaires, portuaires…
Je ne vais pas m’attarder sur cette réalité connue de tous.
Encore faut-il appeler les choses par leur nom : une véritable guerre économique fait rage dans une période où la Chine déferle sur l’Afrique avec une main d’œuvre à bas coûts, certes au savoir-faire encore trop discutable.
Les marchés de l’énergie et les marchés militaires préemptés par l’Europe et les anglo-américains sont maintenant concurrencés par la Chine.
Textile, Nucléaire … la guerre est ouverte.
C’est dans ce contexte – aggravé par la crise monétaire – que les Etats-Unis ont souhaité réagir et reprendre en main des marchés – presque partout dans le Maghreb – où ils commençaient à être concurrencés, justement par les chinois.
A chacun sa part, la France – le complexe militaro-industriel français - n’est pas en reste : les grands groupes industriels sont présents de la Côte d’Ivoire à l’Egypte, du groupe Bolloré au nucléaire AREVA, en passant par EDF, GDF, BOUYGUES, ELF … directement ou indirectement comme actionnaires des entreprises locales.
Un seul exemple, celui de l’Algérie.
Les sociétés algériennes - SONATRACH pour le pétrole, SONELGAZ pour l’électricité – font apparaître dans la composition de leur capital – et pour une part non négligeable - la plupart des grandes entreprises françaises, américaines et anglaises, espagnoles et italiennes.
Tout est interconnecté.
Comment nos entreprises pourraient-elles dès lors rester insensibles au climat social et politique qui pourrait renverser un mode de gestion capitalistique, remettre en cause l’équilibre des profits chèrement acquis ?
Dure loi du Capitalisme ! Inconséquences politiques !
***
Passons, si vous le voulez bien de l’autre côté de la Méditerranée….
De la même façon, peut-on constater en Europe que la mise en œuvre d’une « zone économique optimale » a pour but d’assurer une homogénéité du marché européen pour – non pas assurer le bonheur des populations – mais maximiser les profits, garantir une zone économique stable, au moment où nous le savons, le marché américain présente des risques d’instabilités évidents.
Les grandes Banques européennes et notamment françaises – Crédit agricole, Société générale, etc. – ont cumulé des prises de risques non maîtrisées. Elles sont ainsi exposées tant sur les marchés américains avec les crises de hedge-funds qu’en Grèce où elles ont garantie des mécanismes d’endettement des ménages au-delà de toute proportion raisonnable.
Qui va payer ?
Et bien, c’est nous ! Les simples contribuables français, allemands, espagnols, italiens…
La meilleure réponse trouvée reste bien sûr la socialisation des pertes pour renflouer les pertes successives découlant d’une gestion à risque.
Et vous voudriez qu’à ce moment particulier de crises économiques et financières et alors que des mécanismes subtils de contournement démocratique ont été mise en place – vous voudriez – dis-je – que ce capitalisme accompagne l’élan manifeste des peuples reprenant en main leur destin ?
Le danger actuel pour le capitalisme financier est bel et bien incarné par cet élan des peuples ; danger extrêmement important. Il en va de la survie d’un type de capitalisme car les peuples qui reprennent en main leur destin, ce sont des peuples qui demandent des comptes.
Tout naturellement, le capitalisme accouche d’ores et déjà d’une réponse aussi sévère que dangereuse.

2 – appelle une réponse aussi sévère que dangereuse.
Cette réponse est avant tout intellectuelle. Elle est aussi militaire, bien sûr.
a) – réponse intellectuelle :
Je me contenterai ici de citer le plus brillant des intellectuels américains qui influence depuis des décennies dirigeants Démocrates, dirigeants Républicains, jusqu’aux Néo-conservateurs les plus insupportables, je veux parler de Monsieur Zbigniew Brzezinski un des artisans majeurs de la politique étrangère américaine depuis 1977, stratège reconnu de tous.
Que nous dit Zbigniew Brzezinski du mouvement historique qu’il voit poindre depuis une décennie ?
La plus grande menace qui pèse sur l’Humanité, nous dit Zbigniew Brezinski - c’est « l’éveil politique mondial »(3)
« Pour la première fois, presque toute l’humanité est active, consciente, et interactive sur le plan politique ».
« L’activisme politique mondial qui en résulte génère une montée de la quête de dignité personnelle, du respect culturel et de l’opportunité économique dans un monde douloureusement marqué par les souvenirs de plusieurs siècles de domination étrangère, coloniale ou impériale. »
« Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’aujourd’hui au XXIème siècle, la plupart des populations des pays développés sont politiquement agitées et effervescentes à de nombreux endroits. Il s’agit d’une population excessivement consciente de l’injustice sociale, comme jamais auparavant, et souvent plein de ressentiment face à la perception qu’elle a de son manque de dignité ».
« La jeunesse du tiers-monde – nous dit Brzezinski - est particulièrement agitée et rancunière. La révolution démographique qu’ils incarnent constitue dès lors elle aussi une bombe à retardement politique. »
Dans le même temps, les classes moyennes vont subir de plein fouet la crise.
« Quand l’austérité frappera l’Occident – nous dit Brezinski - toute la classe moyenne disparaîtra dans l’ombre, puisqu’elle sera absorbée par la classe ouvrière inférieure. La jeunesse issue de la classe moyenne occidentale, dont la majorité est éduquée, fera face à la « désillusion » : elle a grandi dans un monde où on lui promettait tout et où on lui a tout confisqué rapidement. Dans ce contexte, les manifestations, les émeutes et les éventuelles rébellions sont aussi inévitables que le lever de soleil. »
Pour Brezinski, seule une gouvernance mondiale - c'est-à-dire la création d’un appareil gouvernemental mondial oppressif - peut assurer la pérennité de l’Oligarchie qui nous gouverne.
Nous le comprenons alors très bien, ce fascisme économique et financier - qui cherche à garder le pouvoir - n’épargnera personne, ni le Tiers monde ni l’Europe.
Pour cette Oligarchie, la seule façon d’imposer cet ordre et de garantir son contrôle est d’organiser le chaos : crises économiques, guerres et expansions rapides ainsi que institutionnalisation d’une dictature scientifique mondiale.
Ce discours – vous l’avez compris - est directement hérité des penseurs antihumanistes, des penseurs nihilistes Nietzsche, Léo Strauss, Karl Schmitt.
Nous nous souvenons du dialogue entre Léo Strauss et Kojève - affirmant que « la question de l’état universel et homogène désignant un monde sans guerre ni sous-développement et où le bien être et le temps de loisir augmenteraient … signifie « la fin de l’histoire ». »
Affirmant que « Les notions de paix, de progrès et de prospérité éliminent les valeurs « supérieures » de l’humanité qui dépendent de la politique et donc de la guerre ? »
L’urgence pour eux est d’initier un processus de « nouveau départ pour l’homme et l’humanité » ; que « seule une révolte nihiliste pourra faire régresser l’humanité à la condition misérable du paléolithique pour que tout recommence » ?
Cette vision catastrophique – il faut l’admettre – peut séduire une partie des élites qui dirigent aujourd’hui le système capitaliste.

b) – réponse militaire :
Cette vision intellectuelle a pour corollaire une réponse tout simplement militaire.
La multiplication d’officines privées est un fait. Véritables multinationales armées, elles pallient les armées conventionnelles sur la plupart des théâtres militaires mais aussi sur des théâtres insoupçonnables.
L’OTAN créée pour faire face à la menace soviétique non seulement perdure mais se développe sur des théâtres forts éloignés de sa zone initiale.
L’OTAN est devenue le bras armé d’un Imperium avec toutes les conclusions que nous devons en tirer.
Pourquoi l’OTAN – je le rappelle « Organisation du traité de l’Atlantique Nord » – est intervenue en Afghanistan ?
Pourquoi l’OTAN multiplie et redéploie ses bases en Europe occidentale, sous commandement américain ?
Pourquoi l’Otan intervient en Libye ?
D’évidence, une force militaire gère un espace territorial lié aux intérêts capitalistiques du principal intéressé – les Etats-Unis d’Amérique.
Appelez cela comme vous le voulez, il y a là un pouvoir militaire qui exerce directement - ou par sa seule présence – une contrainte au service d’une exigence politique en faveur d’un seul Etat ou ensemble d’Etats.
L’intervention de la France en Afghanistan se paye ici en Libye par l’accaparement des ressources énergétiques - notamment les hydrocarbures – prochainement dévolues aux sociétés françaises.
De la même façon, l’intervention de l’armée française en Côte d’Ivoire résulte d’un même échange de bons procédés.
Dans un tel contexte, que pèse une véritable vision politique, humaniste et républicaine face aux intérêts mille fois plus puissants découlant d’un mode de gestion du capitalisme ?
Devons-nous alors nous résoudre à l’impuissance ?
Admettre que tout est joué ? Que l’élan magnifique des peuples ne peut que se heurter au mur infranchissable du capitalisme ?
Et nous –militants humanistes et républicains - devrions-nous baisser les bras ? Nous incliner devant le principe de réalité parce que rien n’est plus vraiment possible ?
Je ne le crois pas.
La période historique que nous vivons soulève des questions essentielles et complexes auxquelles on ne peut opposer – et surtout pas nous ! - une simple fin de non recevoir.
Nous devons travailler à chercher une autre voie.
Et je dirai plus que tout autre – nous, citoyens français – car la France à un rôle particulier à jouer, une voie à porter sur la scène du monde.
Et je crois que cette voie peut se dessiner grâce à quelques réflexions que je me propose de vous exposer maintenant.
Nous devinons qu’il s’agit de trouver de nouveaux équilibres, de rejeter les lois sempiternelles du seul profit pour réaffirmer simplement, mais fermement, de nouvelles valeurs … humanistes.
Quoi de plus évident pour nous que cet exemple Méditerranéen, ce lieu où l’Homme fut – tout simplement - inventé ?
[- Ce sera là l’objet de ma seconde partie - ]

IIème PARTIE : L’exemple Méditerranéen pourrait offrir un ensemble de réponses permettant d’élaborer un nouveau concert des Civilisations
Nous l’avons compris, le système politique et économique dans lequel nous vivons porte en lui le triomphe du matérialisme sur l’esprit ; du profit sur l’échange ; de la guerre sur la paix ;
Nous devons d’évidence inverser ces choix.
Il nous faut retrouver l’Esprit ; redonner sa chance à l’Echange ; construire la Paix ;
La Méditerranée est riche de réponses pour élaborer une possible voie qui passera – à mon sens – par l’affirmation de nouvelles croyances renouvelées (A) et par la fabrique d’un nouveau type de civilisation (B).
Nous devons partir à la recherche de « l’équilibre », du « Milieu ».
Comment ne pas recevoir cette leçon de la Méditerranée « mare medi terra » ?

A – La Méditerranée ou les nouvelles déités :
Il me semble nécessaire d’affirmer en effet que - face aux défis immenses qui se présentent à nous - nous devons puiser dans la Méditerranée la capacité de réinventer des Mythes (1) et la capacité de réinventer l’Homme (2)

1 - Réinventer les Mythes :
De l’Egypte à la Grèce jusqu’à la Rome antique, la Méditerranée reste un lieu de concentration privilégié, celui de la création de Mythes.
Tout naturellement, le Monothéisme accouché en ces terres eu une descendance prolixe : trois grandes religions du Livre.
« Méditerranée : Terre sainte », mais aussi « Méditerranée, terre de ruptures » !
Souvenons-nous de notre histoire religieuse agitée, porteuse de ruptures. C’est là son essence.
« Le judaïsme est né en décapitant les dieux cananéens. Jésus est devenu le christ en injuriant les pharisiens ; (..) on croit toujours contre une croyance antérieure (…) l’histoire des religions progresse à coups de boutoirs et à contre-pied » nous rappelle Régis Debray(4).
Et de conclure « le dialogue inter religieux (…) est une invention hypocrite et lénifiante (…) n’oublions pas que religion et dialogue sont des mots qui jurent » !
Alors comment puiser en cette Méditerranée le dépassement nécessaire à notre triste réalité ?
Il n’y aura pas de réinvention possible de l’Homme sans réinvention préalable des Mythes. Qu’on se le tienne pour dit !
Le comparatif religieux vaut le détour. Alors traçons colonnes avec Régis Debray.

- Les attraits du judaïsme ?
L’absence de dogme ; le culte de la famille ; le côté pratique des Mitsvoth(5), l’observance sans obligations de croyance, la cohésion dans les périls, une ancienneté sans égale ;
- Les attraits de l’Islam ?
La simplicité doctrinal et la conversion éclair ; la polygamie pour les hommes; l’absence de monopole clérical ; la libre concurrence des écoles ; l’ignorance du péché originel ; le confort des consultations juridiques ; l’agrément du paradis ;
- Les attraits du christianisme ?
Un Dieu à tutoyer ; la sensualité des images ; l’ouverture au féminin ; le moindre poids des écritures ; la valorisation de l’individu ; la faculté de négocier avec l’absolu, moins inconnaissable, inaccessible et implacable qu’Allah.

Alors match nul ?
Le philosophe Manuel de Diéguez (6) pour sa part nous invite à reconsidérer l ’Islam « en attente de son destin intellectuel alors que l’Europe est proche du naufrage »(7).
Il voit dans l’Islam une véritable chance pour l’avenir de la civilisation mondiale.
Car « le christianisme est une religion immolatrice. A ce titre, son assise théologique n’est autre qu’un déguisement tardif des sacrifices sanglants de religions primitives »(8).
Même les tentatives d’un Luther ou d’un Calvin – poursuit-il - sont un échec.
« Luther tente d’amollir et de conserver les prodiges les plus stupéfaits du catholicisme (…) il faut imaginer une sorte de transsubstantiation floue mais une religion sacrificielle par nature et par définition en est nécessairement réduite à tenter de tourner en tous sens et sans résultat le meurtre payant qui la fonde. »
Idem pour Calvin, « faisant table rase du culte immolateur et de tous les prodiges » mais qui en fait « dépose les armes sans combattre » nous dit Manuel de Diéguez.
Et il précise : « L’Islam rejette avec horreur les mêmes prodiges barbares que la réforme n’aura repoussés qu’à demi et seulement deux siècles après les débuts de la Renaissance en Italie. »
Mahomet « est pleinement un homme, et à ce titre, il se veut dépourvu de pouvoirs magiques »
Et de conclure magistral : « c’est un grand avantage, pour l’Occident embrumé, de savoir qu'un prophète n'a nullement besoin de se légitimer à naître d'une vierge de village, de savoir qu'on ne demande pas à son génie de bénéficier d'une ascension théologique continue et de siècle en siècle, laquelle l'aurait rendu confusible avec le créateur de l'univers, de savoir qu'il n'est pas utile de le hisser au rang de chef d'un clergé de sacrificateurs patentés, de savoir que seules les idoles ont besoin de sorciers chargés de leur procurer une victime censée leur rembourser une créance d'un montant gigantesque (…) »
« En vérité - nous dit le philosophe - l'islam se présente très tôt en médiateur des retrouvailles de la civilisation mondiale avec Aristote et Platon - demain, avec celle de Darwin et d'Einstein »
Ignorer que l’Islam – que n’a pas encore fécondé sa propre renaissance - pourrait en effet servir de vecteur dynamique à notre progression collective serait faire une bien triste erreur.
Je suis en cela totalement d’accord avec notre Philosophe. Voyons large.
Mais comment rester insensible à cette proposition tout autant magnifique d’un autre Méditerranéen - Auguste Comte, le Montpelliérain.
Sa « religion de l’humanité », mythe œcuménique des croyances humaines – mêlant sciences, religions et tous types de croyances – dans une concorde au service du Culte des grands hommes et sans Dieu - reste à mon sens une des pistes modernes les plus intéressantes.
« Sans Dieu, et grâce à la science, l’Humanité devient à elle-même sa propre providence. Epurée de toute révélation, de toute superstition, voire de tout dogme, cette religion est laïque. Quelle liberté »
Puisque « il n’y a au fond de réel que l’humanité » nous dit Auguste Comte adoptons la formule sacrée du positivisme « L’amour pour principe, l’Ordre pour base et le Progrès pour but ».
La religion de l’Humanité ? Quel beau programme.
***

De ce parcours complexe entre croyances, religions et mythes, - si nous restons dubitatif - peut-être pouvons nous échapper par la voix d’un de mes maîtres incontestables, Paul Valéry.
Paul Valéry, le Méditerranéen - je cite :
« Le port, les navires, les poissons et les parfums, la nage, ce n’était qu’une manière de prélude. Il me faut essayer, à présent, de vous montrer une action plus profonde de la mer natale sur mon esprit (…) certainement, rien ne m’a plus formé, plus imprégné, mieux instruit – ou construit – que ces heures dérobées à l‘étude, distraites en apparence, mais vouées dans le fond au culte inconscient de trois ou quatre déités incontestables : la Mer, le Ciel, le Soleil. Je retrouvais, sans le savoir, je ne sais quels étonnements et quelles exaltations de primitif. (…) mieux que toute lecture, mieux que les poètes, mieux que les philosophes, certains regards, sans pensée définie ni définissable, certains regards sur les purs éléments du jour, sur les objets les plus vastes, les plus simples, le plus puissamment simples et sensibles de notre sphère d’existence (…) nous façonnent, nous accoutument, nous induisent à ressentir sans effort et sans réflexion la véritable proportion de notre nature, à trouver en nous, sans difficulté, le passage à notre degré le plus élevé, qui est aussi le plus « humain ». (9)
« La Mer, le Ciel, le Soleil » : Comment ne pas voir dans ces déités Méditerranéennes l’essence des mythes que nous sommes appelés à réinventer comme préalable indispensable pour redécouvrir notre propre humanité ?

2 – Réinventer l’Homme
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Par Jean-Luc Pujo président des clubs "Penser la France", rédacteur en chef du portail "Politique-actu.com"
Source http://www.politique-actu.com/actualite/mediterranee-noeud-civilisations-pour-appel-conjoint-peuples-arabes-europeens-jean-pujo/291652/

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