Combattre l'analphabétisme au Sud

Beaucoup de pays émergents de la Méditerranée entretiennent à grands frais des systèmes éducatifs qui ont un impact négatif sur les capacités de développement.
Cela conduit à une quadruple impasse :
1. L'analphabétisme, qui touche en moyenne 50 % de la population : 55 % au Maroc, 35 % en Algérie, plus de 65 % au Sénégal...

2. La "production" d'un nombre important de diplômés de l'enseignement supérieur "promis" en moyenne à cinq années de chômage après bac + 2 ;
3. L'absence de main-d'oeuvre correspondant aux vrais besoins des entreprises locales ou internationales et en particulier françaises implantées sur place ;
4. L'absence de toute forme d'espoir social et professionnel qui pousse les jeunes à une immigration suicidaire.
Dans la plupart de ces pays, des réformes, des chartes, des plans se sont succédé ; aucun n'a réussi à transformer en profondeur son système éducatif pour le mettre au service d'un développement endogène. Cette faillite des systèmes éducatifs marocains, algériens, sénégalais... qui interdit toute insertion sociale et professionnelle est une des causes majeures de la fuite aveugle des diplômés comme des analphabètes qui choisissent de jouer leur vie dans des tentatives désespérées d'émigration.
Plus grave encore ! Ces systèmes "forment" des citoyens en difficulté de conceptualisation et d'argumentation. Ces citoyens, incapables de prendre une distance propice à la réflexion et à l'analyse, seront perméables à tous les discours qui prétendent apporter des réponses simplistes, immédiates et définitives. Ils seront séduits par tous les stéréotypes qui offrent du monde une vision dichotomique et manichéenne. Ils seront docilement soumis aux règles les plus rigides, aux mots d'ordre les plus arbitraires pourvu qu'ils leur donnent l'illusion de transcender les insupportables frustrations quotidiennes ; ils seront parfois tentés par des actes désespérés qui leur paraîtront donner un sens à leur vie.
Un des problèmes essentiels qui pèsent sur ces systèmes éducatifs est le niveau très faible d'une grande partie des enseignants, tant dans la transmission des savoirs de base que dans la maîtrise de la langue. La redéfinition de la forme et des contenus de formation des maîtres apparaît être, dans une grande partie des pays de la Méditerranée, une urgente nécessité.
Dans une telle perspective, seule la mise en place de dispositifs de formation à distance puissants et contrôlés est susceptible de dispenser des contenus pertinents tout en assurant un tutorat de qualité. Nous sommes en mesure de proposer à tous nos partenaires de construire avec eux des dispositifs en ligne de formations efficaces et pertinents visant à la fois une amélioration des savoirs fondamentaux, un perfectionnement des savoir-faire professionnels et une meilleure connaissance de la langue et de la culture françaises. Cette perspective devrait être une dimension majeure de notre politique de codéveloppement.
Ces dispositifs devront prendre en compte les spécificités culturelles et linguistiques ainsi que les capacités technologiques réelles de chaque pays. Une telle proposition, échappant ainsi à tout procès d'ingérence, représentera un atout essentiel pour une diffusion de la langue française qui sera considérée alors comme fonctionnelle : renforçant l'efficacité des systèmes éducatifs et respectueuse du plurilinguisme.
C'est à long terme, pour la France, la seule réponse sérieuse à une immigration que la désespérance rendra de plus en plus incontrôlable. Quand, aux frontières de l'Europe, des peuples décident de jouer leur liberté et leur vie dans l'espoir chimérique d'une existence qu'ils espèrent plus digne ailleurs, la réponse européenne ne saurait être uniquement répressive.
Contribuer à ce que les enfants de tous les pays de la Méditerranée aient les moyens d'agir sur leur propre monde, veiller à ce qu'ils aient les capacités intellectuelles de l'analyser avec lucidité, tel devrait être l'engagement de la France. Ne l'oublions pas, rien de durable ne se construira au sein de l'Union pour la Méditerranée en matière d'écologie et d'économie si la question éducative n'est pas placée au coeur même de ce formidable projet.
Alain Bentolila est professeur de linguistique à l'université Paris-Descartes.
Article paru dans .lemonde.fr du 22.11.08.

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