Union pour la Méditerranée : "On n'est plus dans un monde divisé entre les bons et les méchants"

Que pensez-vous de l'initiative française qui consiste à asseoir à la même table des pays qui ne se parlent pas ou guère ? Cette initiative a-t-elle des chances de faire avancer un tant soit peu la "paix" dans la région, comme le soutient Nicolas Sarkozy ?
- Pour qu'il y ait un jour la paix, il faut que ces pays finissent par prendre langue. Et je pense qu'en acceptant de venir à ce sommet de l'Union pour la Méditerranée (UPM) à Paris, ils montrent qu'ils ont pris conscience que l'environnement international était en train de changer et qu'il leur fallait dépasser leurs hostilités qui se sont révélées contre-productives. Mais il y a fort à parier que leur simple coexistence le temps d'un sommet ne fera pas beaucoup avancer les choses sur le plan de la paix. C'est tout de même déjà un événement important. Pour ce qui est des critiques concernant la présence du président syrien Bachar el-Assad, il y a beaucoup à dire sur cet homme, mais comme il y a aussi beaucoup à dire sur les relations de la France avec la Chine ou encore avec le colonel Kadhafi. Nous sommes peut-être dans une nouvelle ère qui s'ouvre dans les relations franco-syriennes. Peut-être que nous ne sommes plus dans la diplomatie qui prévalait sous Jacques Chirac. On n'est plus dans un monde divisé entre les bons d'un côté et les méchants de l'autre. La France cherche aujourd'hui à être pragmatique, à composer avec d'autres pays en se donnant des objectifs communs, à s'amarrer à la mondialisation en se repositionnant autrement.
La France est accusée de vouloir réaffirmer son influence dans la région, par le biais de l'UPM, aux dépens de l'Union européenne... Ce reproche est-il justifié ?
- C'est notamment ce qui a été avancé par l'Allemagne. Et il était en effet choquant que Nicolas Sarkozy ait présenté ce projet d'UPM de manière isolée à l'automne dernier. L'Espagne et l'Allemagne y ont vu des tentations impérialistes. Certes, il était nécessaire, pour la France, d'instaurer de nouvelles relations avec le Sud, de tourner la page du colonialisme, d'ouvrir une nouvelle page avec un projet fort, mais Paris a fait fi des accords qu'elle a signés en 1995 à Barcelone qui l'engageaient vis-à-vis de l'Europe dans ses relations avec le Sud. Les choses ont été "rectifiées" à Hanovre en mars dernier entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Mais en réinscrivant, à la suite de cette mise au point, l'UPM dans le prolongement de Barcelone, on lui a ôté une partie de son ambition. Car, d'une part, les partenaires sont plus nombreux que prévu initialement, et, d'autre part, l'UPM se retrouve être le prolongement d'un processus qu'on a pourtant dit inadapté, essoufflé. Cela pose du coup des problèmes de lisibilité : est-on dans Barcelone ou non ? Et cette ambiguïté nourrit les peurs, les suspicions, comme celles de l'Allemagne, envers la France, suspectée de vouloir s'octroyer un leadership sur le Sud. Or, un projet comme celui de l'UPM ne doit surtout pas avoir de leader. Les relations entre les pays doivent être mises sur un pied d'égalité. Reste qu'il faut un rôle de moteur provisoire, que la France joue pour le moment, mais insuffisamment, comme le témoigne le contenu du projet.
Justement, que peut-on attendre, concrètement, de l'UPM ?
- Les grands axes mis en place sont très consensuels, ils ne risquent de fâcher personne. Ils sont juste là pour montrer qu'il y a quelque chose, qu'il ne s'agit pas d'une enveloppe vide. Pour moi, il faut aller beaucoup plus loin. Si on arrive dans quatre ou cinq ans en ayant seulement dépollué la Méditerranée, certes ce sera une très bonne chose, mais on pourra être terriblement déçu. Il faut aborder les questions qui fâchent, les contentieux, les conflits, la gouvernance économique et politique (j'entends par là notamment les droits de l'homme). Effectivement, si on met tout ça sur la table, cela implique un changement de comportement des pays du Sud, qui, jusque là, n'étaient pas habitués à être des partenaires mais seulement à recevoir des chèques. Il faudra aussi qu'au Nord comme au Sud on cesse d'avoir l'ambition d'un quelconque leadership régional. Or les contentieux du Sud viennent en grande partie de là. Déjà, le Maroc veut se distinguer dans l'UPM en se targuant de "son statut avancé" tandis que la Lybie boude dans son coin en se disant autonome de par le fait qu'elle est une puissance pétrolière. La France, de son côté, veut aussi s'imposer, en faisant valoir son histoire, son héritage qui lui donne une plus grande expertise face aux autres Européens... Au final, on nous dit qu'il s'agit d'un "Barcelone +". En quoi consiste ce "+" ? Si on est dans un espace économique, si toutes ces grandes questions ne sont pas soulevées, alors c'est qu'on est resté dans Barcelone, et, par conséquent, l'UPM n'a pas grand intérêt. Si c'est le contraire, si on pose toutes ces questions qui fâchent, alors cela vaut vraiment le coup.
Interview de Khadija Mohsen-Finan par Sarah Halifa-Legrand - Le NouvelObs.fr - le 11 juillet 2008)

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