Nicolas Sarkozy rassemble les deux rives de la Méditerranée

Après avoir chanté la veille la paix sur tous les tons, les chefs d'Etat et de gouvernement conviés au lancement de l'Union pour la Méditerranée (UPM) devaient entendre les airs martiaux accompagnant le défilé du 14 juillet, place de la Concorde à Paris. Dans son fauteuil, Nicolas Sarkozy a pu, entre deux bataillons, se repasser le jour précédent. Pour une belle journée, ce fut pour lui une belle journée! "Il fallait quelqu'un qui prenne des risques et que le cercle vertueux s'engage", a résumé, dimanche, le président français, aux côtés du président égyptien, Hosni Moubarak, avec lequel il copréside l'UPM. Avant de se réjouir que "chacun a fait un effort".

Quatre heures de réunion au Grand Palais auront permis de lancer un nouveau partenariat entre les deux rives de la Méditerranée, au terme de longs mois de tractations. Pour faire de ce lancement une journée "historique", M. Sarkozy avait besoin d'une participation exceptionnelle. Hormis l'imprévisible Guidelibyen, Mouammar Kadhafi, et les deux rois conviés, Abdallah II de Jordanie, dont l'absence était prévue de longue date, et de Mohammed VI du Maroc, personne parmi les dirigeants des 44 pays concernés n'a manqué à l'appel. Tous furent réunis autour d'une immense table, et par la grâce de l'ordre alphabétique, les pays arabes ne reconnaissant pas Israël se sont retrouvés à une distance respectable du premier ministre Ehoud Olmert. L'Israélien fut entouré de l'Italien Silvio Berlusconi et du Grec Costas Caramanlis et la séance n'a été le théâtre d'aucun incident.

Ce climat favorable a été préparé samedi dans un carrousel de véhicules officiels, lorsque Nicolas Sarkozy a ouvert le palais de l'Elysée à un ancien paria, son homologue syrien Bachar Al-Assad. Tout commence par un tête-à-tête "franc et loyal", qui permet de finaliser un communiqué commun franco-syrien pesé au trébuchet. Bachar Al-Assad, tout ébaubi d'être de nouveau fréquentable, se montre plus conciliant que son ministre des affaires étrangères Walid Al-Moallem. Rejoints par le président libanais, Michel Sleimane et l'émir du Qatar, médiateur dans les affaires libanaises, les deux hommes se présentent devant la presse dans la salle des fêtes de l'Elysée. Nicolas Sarkozy se félicite de la "volonté" syrienne d'ouvrir une représentation diplomatique au Liban et d'accepter que la France parraine d'éventuelles négociations de paix directes entre Israël et la Syrie alors que les deux pays dialoguent pour l'instant par le truchement de la Turquie. Souhaitant que M. Assad soit "à la hauteur de [son] invitation et de [sa] confiance", le président français annonce sa venue à Damas, d'ici septembre.

Dimanche matin, M. Sarkozy poursuit son opération de déminage et reçoit le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan : son pays avait accueilli avec méfiance l'UPM, perçue comme moyen d'empêcher son adhésion à l'Union européenne. M. Erdogan s'est porté candidat pour introduire en séance plénière le débat sur le dialogue politique en Méditerranée. Dans la foulée, les dirigeants grecs se sont inscrits et l'Elysée s'inquiète. "N'ouvrons pas le dialogue politique", conjurent des diplomates français, qui décident de confier ce thème au secrétaire général de l'ONU, Ban Ki Moon, et au président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, qui abordera les droits de l'homme. Finalement, M. Erdogan ouvrira le débat économique et fera un exposé "très précis, très convaincant" sur les problématiques de l'eau et de l'énergie.

Dernière réunion préparatoire, dimanche midi, M. Sarkozy réunit le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas et le premier ministre israélien, M. Olmert. Sans doute grisé par la pompe élyséenne, ce dernier assure n'avoir "jamais été aussi près" d'un accord de paix avec M. Abbas.

Parallèlement, l'Elysée s'emploie à éteindre toute polémique après le "malaise" exprimé par des associations d'anciens combattants : lors du défilé du 14 juillet, le président syrien doit voir défiler la promotion de l'école interarmées "Antoine de la Bâtie", du nom d'un officier tué au Liban en 1983 dans l'attentat meurtrier contre un bâtiment, le Drakkar, occupé par les soldats français d'une force d'interposition. "C'est une erreur historique! Le Drakkar c'était l'Iran! rectifie l'Elysée, La Syrie, c'était l'ambassadeur de France Delamare" assassiné en 1981. Il y a bien eu quelques bémols. Le président syrien s'est montré plutôt évasif à propos de l'ouverture de l'ambassade syrienne à Beyrouth et il a suavement rappelé qu'il subordonnait l'ouverture de négociations directes avec Israël au soutien d'une nouvelle administration américaine.

M. Olmert, accompagné par sa ministre des affaires étrangères, Tzipi Livni, qui lorgne ouvertement sur sa fonction, est arrivé à Paris fragilisé comme jamais auparavant par les attaques de la presse israélienne exigeant sa démission après des accusations d'escroquerie.

Si elle n'a pas réussi à gâcher la fête, la défection du roi Mohammed VI, remplacé à la dernière minute par son frère, le prince Moulay Rachid, a provoqué la stupeur. L'explication fournie – l'inauguration d'une "une série de chantiers" – n'a convaincu personne. Quatre jours plus tôt, la venue du souverain au sommet était tenue pour acquise, à Rabat comme à Paris. Et les tentatives embarrassées, du côté marocain comme du côté français, pour donner une version acceptable de cette défection, n'ont pas dissipé le malaise. "Le roi est très timide. Il évite ce genre de grande réunion", assuraient les diplomates français.

L'éternelle rivalité maroco-algérienne pourrait expliquer la bouderie de Mohammed VI. Le roi aurait appris la semaine dernière que le poste de secrétaire général de l'UPM ne reviendrait pas assurément à un Marocain, contrairement au quasi-engagement pris par les responsables français. Pour ne pas froisser le président algérien Bouteflika, l'Elysée aurait renoncé à privilégier le Maroc en lui octroyant ce qui aurait pu paraître comme une faveur.

Tunis, qui a dépêché un émissaire en Libye pour tenter de convaincre le Guide,a toutes les raisons de se réjouir. Elle escompte abriter le siège du secrétariat de l'UPM, que briguent aussi Malte, Barcelone et Tanger, voire Bruxelles. La nationalité du secrétaire général reste donc en suspens. Ces questions seront tranchées lors d'une réunion ministérielle en novembre, à Marseille. "Il reste encore beaucoup de travail", a constaté Nicolas Sarkozy en clôturant les travaux. Sur ce point précis, nul ne l'a démenti.

Florence Beaugé, Arnaud Leparmentier et Gilles Paris - Journal Le Monde - le 14 juillet 2008



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