L'Union pour la Méditerranée, une Europe sans l'Autre ?

CE N’EST PAS l’ampoule qui fait briller le lustre, dit un proverbe américain.
L’Union européenne (UE) peut-elle dès lors mener une entreprise d’envergure en Méditerranée, une zone d’influence éminemment US ?
Signifiée depuis leur déconvenue à Suez en 1956, la réduction à la portion congrue de la puissance des anciens empires, britannique et français, est encore pérenne. En conséquence, contrairement à ce que laisse croire le faste de son lancement, l’Union pour la Méditerranée (UPM), portée le 13 juillet sur les fonts baptismaux par Nicolas Sarkozy, est un projet d’une autonomie limitée.
En fait, la présidence française du Conseil de l’UE durant le second semestre 2008 profite du mandat finissant de George W. Bush, et donc de l’éclipse momentanée des Etats-Unis de la scène internationale, pour jouer les grands de ce monde à Paris: entretiens avec le Syrien Bachar Al-Assad, qui possède les clés du Liban, présence de chefs d’Etats arabo-musulmans aux côtés du Premier ministre israélien, invitations de despotes du Maghreb et du Proche-Orient sur les Champs-Elysées pour le défilé militaire du 14 juillet…, le tout en l’absence du parrain incontournable de l’éventuelle résolution des conflits en Méditerranée.
Quant au projet proprement dit du chef de l’Etat français, au demeurant flou et qui ne concernait au départ que les riverains, il avait déjà été passablement terni par le recentrage de son centre de gravité décisionnel à Bruxelles sous la pression de la chancelière allemande, Angela Merkel. Elargie au Vingt-Sept, qui en détiennent le levier du financement, l’UPM s’inscrit du même coup dans la continuité du processus Euromed antérieur, dit aussi de Barcelone et initié en 1995.
Relevant tous d’une Mare Nostrum de nos jours, autrement dit d’une piscine intérieure de l’Europe mais dont la sécurité est toutefois assurée par l’Alliance atlantique, ses trois principaux objectifs sont connus, et critiquables. Le parachèvement d’une zone de libre-échange en Méditerranée traduit, sans vraiment pallier ses effets destructeurs sur les tissus économiques des pays du Sud, la mise en pratique de la doctrine libérale en la matière.
Mais si la voie est ainsi progressivement ouverte à la libre circulation des marchandises, en revanche, un strict contrôle des flux migratoires est confié en sous-traitance aux régimes supplétifs de l’Europe sur l’autre rive de la mer. Enfin, la coopération euroméditerranéenne est aussi opérationnelle dans une lutte anti-terroriste rendue planétaire par les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, et cela même si sa logique de soutien sans réserve aux autocrates musulmans fait de plus en plus ouvertement le lit des théocraties que souhaiteraient instaurer leurs frères ennemis islamistes.
Ainsi enfermée dans ses propres carcans, l’UPM ne fait émerger que des desseins, comme celui de la dépollution de la mer, aussi nécessaires que marginaux. Est-ce à dire que la tutelle américaine est si contraignante qu’elle condamne l’Europe à mettre uniquement en œuvre des idées toujours à la marge?
En réalité, une initiative d’ampleur qui, sans se mettre à dos l’Hyperpuissance, permette d’engranger à terme des retombées significatives de part et d'autre de la mer Méditerranée est possible: que l’UE mène, avec ses partenaires sud-méditerranéens, une stratégie de différenciation fondée sur les principes, et qui conduise à des rapports établis sur un pied d'égalité.
Figurant dans les accords d’Association euroméditerranéens, le respect de la démocratie et des droits de l’homme est au premier chef de ces principes. Son application ne serait d’ailleurs pas une ingérence dans les affaires intérieures des Etats, qui l’ont en effet hypocritement mais souverainement ratifiée. Il ne s’agit pas non plus de demander que des potentats se transforment du jour au lendemain en démocrates, c’est plutôt que l’UE cesse désormais de les cautionner. Constamment réprimés, mais à même de prendre leurs destins en main, les peuples d’outre-Méditerranée en sauraient d’ailleurs gré aux Européens.
Dans cette perspective de démocratisation, l’horizon de relations commerciales entre des régimes libéraux enfin comparables peut être rapproché. Une piste inexplorée est susceptible d’en hâter la concrétisation, et constituerait un acte fondateur de solidarité transméditerranéenne: la mise en commun des systèmes de protection sociale tout en les créant lors qu’ils n’existent pas encore. Le découplage des croissances démographiques du Nord et du Sud permet de résorber les déficits chroniques de la sécurité sociale et des régimes de retraites en Europe.
Cela conduit également à niveler par le haut les droits sociaux des Sud-méditerranéens avec l’avantage de leur donner les moyens d’échapper aux clientélismes paternalistes qui les gouvernent.
Dernier point et non des moindres, c’est la question du nom: se substituant à l’Euromed, l’UPM réussirait presque à écarter le soupçon de néocolonialisme qui pèse pour l’heure sur les relations entre les anciennes métropoles et leurs anciennes provinces. Sans doute, par l'intitulé de l'Union pour la Méditerranée, l’évocation de la mer fait-elle fantasmer. Mais la réalité commande de désigner clairement les territoires qui bordent cette medius terra, cette mer au milieu des terres, en l’occurrence d’Europe, d’Afrique et d’Asie. Histoire d’arrêter de noyer le poisson.
Wicem Souissi - NouvelObs.com - le 9 juillet 2008

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