Comment Paris a réuni Europe et Méditerranée

La France a dû aplanir de nombreux obstacles pour organiser le sommet euroméditerranéen dimanche 13 juillet à Paris.
La scène se passe le 3 juillet, à Marseille, lors de la réunion des ministres du Commerce des pays euroméditerranéens. Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne chargée des Relations extérieures de l'Union européenne, est aux côtés d'Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, chargé de suivre le dossier de l'Union pour la Méditerranée. La commissaire fait l'éloge du processus de Barcelone, dont l'Union pour la Méditerranée (UPM) est, pour elle, la continuation.
Pour Henri Guaino, la commissaire a manié cette «langue de plomb» européenne qui le met hors de lui. Il ne se gêne pas, dans sa réponse, pour y faire allusion. Son intervention vise clairement la commissaire européenne. Elle est, selon un témoin de la scène, exaspérée par le ton du conseiller élyséen : «Elle en avait les larmes aux yeux», raconte-t-il.

Les larmes de la commissaire illustrent les tensions qui entourent le projet d'Union méditerranéenne rêvé par Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle. L'ex-ministre autrichienne des Affaires étrangères est bien sûr dans son rôle quand elle défend une politique de voisinage pilotée par l'Union européenne, dans la continuité du processus de Barcelone, lancé en 1995. Le «souverainiste» Henri Guaino défend auprès de Nicolas Sarkozy l'idée d'une autre association entre le Nord et le Sud, affranchie des pesanteurs bureaucratiques de Bruxelles.

«C'est un sujet stratégique»
Ce sont d'abord les tiraillements entre la France et ses partenaires européens qui ont failli mettre en péril le projet d'Union pour la Méditerranée. Outre l'Espagne, qui ne voulait pas d'un concurrent au processus de Barcelone, il y eut la colère de l'Allemagne. «Cela risque de libérer des forces explosives en Europe», avait prévenu Angela Merkel en décembre, très mécontente de la démarche solitaire de la France. Envoyé en mission de réconciliation, Henri Guaino se rendit à Berlin en février. Il y rencontra un haut gradé de la Chancellerie allemande, sherpa de Merkel sur les questions européennes. Le dîner entre les deux hommes tourna au fiasco. Guaino, qui revendique son absence de diplomatie, explique qu'il ne voit pas pourquoi l'Allemagne aurait à se mêler des affaires méditerranéennes et ajoute qu'il n'est pas question de demander à Berlin une contribution financière. «Nous ne pouvons pas laisser ce dossier entre vos seules mains, c'est un sujet stratégique», lui répond son interlocuteur. «Vous faites bien l'union de la Baltique», rétorque Guaino, en soulignant que la Russie n'est pas un petit partenaire de cette union et que la France n'en est pas membre.

Les Allemands ne l'entendent pas de cette oreille. «Si vous ne cédez pas, nous bloquons tous les autres dossiers de la présidence de l'UE», expliquent les «diplos» de Berlin à leurs amis de Paris. L'Élysée cède. Et accepte d'embarquer les 27 membres de l'Union européenne dans l'UPM. En échange, la France ne sera plus seulement un simple «observateur» mais un membre à part entière de l'Union de la Baltique… À Hanovre, le 2 mars, lors d'un dîner entre Merkel et Sarkozy, l'accord est signé. Avec, pour Paris, la garantie d'une coprésidence de l'UPM assumée à égalité par les pays de la rive nord et de la rive sud.

Les Européens ne se sont pas encore mis d'accord sur le nom du coprésident qui les représenterait, en revanche il semble acquis que le président égyptien Hosni Moubarak représente les pays de la rive sud. Outre cette «petite révolution», selon Paris, dans les relations d'ordinaire déséquilibrées entre Bruxelles et les pays de la rive sud, l'accord prévoit des coopérations concrètes «à géométrie variable» sur la dépollution, l'énergie solaire ou les autoroutes de la mer. Sur le papier, Berlin et Paris renoncent à faire cavalier seul, l'un à l'est du continent, l'autre en Méditerranée. La copie française, corrigée par Merkel, laisse encore en suspens le nom de la capitale qui accueillera le secrétariat de l'UPM. La Commission européenne préférerait Bruxelles. Paris défend la candidature d'une ville du Sud : Rabat, Tunis ou La Valette.

Dimanche prochain, un peu plus d'un an après le discours de Sarkozy à Toulon, pendant la campagne présidentielle, où le candidat rêvait d'union méditerranéenne, les diplomates français serviront sur un plateau aux télévisions une belle photo de famille. On découvrira, réunis à Paris, au Grand Palais, les 27 chefs d'État européens aux côtés des dirigeants des pays des rives sud et orientales de la Méditerranée, du Maroc à la Turquie, à l'exception du raïs libyen, Mouammar Kadhafi.

Sortir de l'isolement
«Il y a eu un effet domino. Nous avons répété qu'en leur absence, l'UPM se ferait sans eux», résume-t-on dans les couloirs de l'hôtel de Marigny, où l'ambassadeur Alain Le Roy, chargé de mener à bien le projet d'Union pour la Méditerranée depuis octobre, a réuni une douzaine de collaborateurs (parmi lesquels le recteur Michèle Gendreau-Massaloux et l'ancien ambassadeur de France à Tel-Aviv Jacques Huntzinger). Les chevau-légers de Nicolas Sarkozy, chargés de monter cette «fantasia méditerranéenne», ont eu quelques obstacles difficiles à surmonter.

Si le Maroc, la Tunisie, l'Égypte, le Liban, la Jordanie et Israël ont vite joué le jeu, la Syrie, l'Algérie, la Turquie ont posé problème. Le plus difficile a été d'acter la venue du président syrien Bachar el-Assad, la France ayant rompu les discussions en décembre dernier, après avoir constaté qu'elles ne menaient pas à une amélioration de la situation au Liban.

Le 29 mai, quelques jours après l'élection du président libanais Michel Sleimane bloquée depuis des mois, Nicolas Sarkozy renoue au téléphone à son homologue syrien. Dès ce coup de fil, le raïs syrien accepte l'invitation de Nicolas Sarkozy qui, quelques jours plus tard, dépêche une nouvelle fois à Damas son secrétaire général Claude Guéant et le chef de sa cellule diplomatique, Jean-David Levitte. Pour Bachar el-Assad, il est trop tentant de sortir de l'isolement international en ralliant le «club» de l'UPM, même si celui-ci a également pour membre l'Israélien Ehoud Olmert. Samedi, grâce à leur éloignement alphabétique (Israël et Syrie seront aux extrémités de la table) et aux subtilités du protocole, les deux hommes n'auront pas à se côtoyer.

À l'Élysée, on réfute les critiques suscitées par la présence possible du président syrien au défilé du 14 Juillet, lors duquel les Casques bleus présents en Méditerranée (au Liban notamment) seront à l'honneur.

Bachar el-Assad sera d'abord reçu samedi à l'Élysée. C'est alors que l'on saura s'il souhaite rester à Paris pour la Fête nationale, au lendemain du sommet, comme cela est proposé à l'ensemble des quarante-trois participants. «Bien sûr, la Syrie n'est pas parfaite en matière de droits de l'homme», convient-on dans l'entourage du président de la République. «Mais s'il avait fallu faire le sommet de l'Union pour la Méditerranée seulement avec des démocraties, qui aurait-on invité ?, poursuit cette source élyséenne. Pas Ben Ali, pas Bouteflika, pas Kadhafi, pas Moubarak…»

Autre cas délicat, l'Algérien Abdelaziz Bouteflika aura donné du fil à retordre aux organisateurs. Depuis des mois, Bernard Kouchner (deux visites en six mois), François Fillon (en visite à Alger fin juin) et Nicolas Sarkozy (une visite d'État en novembre) ont déployé des trésors de persuasion pour faire venir ce partenaire aussi malcommode qu'incontournable. Ces dernières semaines, les diplomates français ont exploité le ralliement du président syrien au projet d'UPM pour faire valoir aux derniers récalcitrants, dont Bouteflika, qu'il serait malvenu pour eux de s'isoler dans une posture de refus. Il a même été suggéré à Bachar de décrocher son téléphone…

Mouammar Kadhafi, en revanche, sera le grand absent du sommet de l'UPM. Malgré une ultime visite de Claude Guéant, fin juin, il n'en finit pas de vitupérer contre l'Union pour la Méditerranée. Le 10 juin, lors d'un minisommet arabe à Tripoli, le Guide n'a pas mâché ses mots contre un projet qu'il juge digne de l'époque de la colonisation. «Nous ne sommes ni des affamés, ni des chiens pour qu'ils nous jettent les os», a-t-il lancé, à propos de ce nouveau projet d'Union. Le bouillant colonel, que Sarkozy avait accueilli avec tous les honneurs à Paris en décembre, demeure inflexible. «S'il n'est pas là, cela ne nous fera pas chagrin», dit-on dans l'entourage du président de la République.

Quant à la Turquie, elle a d'emblée perçu l'UPM comme un substitut à sa perspective d'adhésion à l'UE. Quelques semaines après l'élection de Nicolas Sarkozy, son sherpa s'est rendu à Ankara, en juin 2007, pour tenter de rassurer les Turcs. Ceux-ci ont reçu l'assurance de l'Élysée que leur négociation de longue haleine avec la Commission européenne ne serait pas stoppée. Ankara a donc donné son feu vert au projet. Mais à quelques jours du sommet, on ne savait toujours pas qui, du président ou du premier ministre turc, sera à Paris.
Par Alain Barluet et Charles Jaigu - Le Figaro.fr - le 7 juillet 2008

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