Union pour la Méditerranée: le «Plan B» de Sarkozy

Présidence de l’UE. Le 1er juillet, la France prend la tête d’une Europe en panne. Aussi, Nicolas Sarkozy met la dernière énergie à réaliser son projet de rassemblement autour de la Méditerranée, espérant réunir les intéressés à Paris le 13 juillet.
Jacques Chirac n’est pas content. L’ancien président a annoncé qu’il va bouder les cérémonies du 14 Juillet parce que Nicolas Sarkozy y a invité Bachar al-Assad. Le chef de l’Etat syrien, en effet, est fortement soupçonné dans l’assassinat de Rafic Hariri, premier ministre libanais et ami personnel de Chirac. Ce dernier a gardé des liens très forts avec la famille Hariri, au point que le retraité vit avec son épouse dans une propriété d’Ayman Hariri, fils de Rafic, un immense appartement au 3, quai Voltaire, face au Louvre…
Cette anecdote suggère les difficultés à venir pour le grand dessein qu’espère réaliser Nicolas Sarkozy au cours de la présidence française de l’UE qui débute le 1er juillet.Si Sarkozy a invité le paria de Damas, ce n’est pas par goût d’assombrir l’humeur de son prédécesseur à l’Elysée.
Bachar al-Assad viendra à Paris pour assister, le 13 juillet, au lancement du «Processus de Barcelone: Union pour la Méditerranée», une idée que Nicolas Sarkozy initia au soir de son élection. Le 6 mai 2007, au QG de l’UMP, salle Gaveau, le vainqueur déclarait, solennel: «Je veux lancer un appel à tous les peuples de la Méditerranée pour leur dire que c’est en Méditerranée que tout se joue, et que nous devons surmonter toutes les haines pour laisser la place à un grand rêve de paix et de civilisation.
Je veux leur dire que le temps est venu de bâtir ensemble une Union méditerranéenne qui sera un trait d’union entre l’Europe et l’Afrique.»
Une idée séduisante. L’idée s’appelle alors «Union méditerranéenne». Bien qu’encore floue, et peut-être grâce à cela, elle a, dans l’euphorie du grand soir, quelque chose de séduisant et d’habile à la fois.
«A géométrie variable», comme la diplomatie française la qualifie depuis, elle suggère pour la première fois la création d’un cadre d’échange et de dialogue ambitieux avec le sud de la Méditerranée. Avec le Maghreb d’abord, afin d’apaiser peut-être les ressentiments envers l’ex-ministre de l’Intérieur et son «karcher», devenu président de tous les Français, et donc également de ceux d’origine nord-africaine.
Une main tendue à Alger aussi, ulcérée parmi tant d’autres choses, par l’évocation des «aspects positifs» de la colonisation dans une loi votée en 2005 à Paris. Au Proche-Orient (Liban, Syrie, Israël, Palestine), l’idée suggère le retour de la France qui s’y était passablement désengagée. Certes, pour la Turquie, courtisane perpétuellement éconduite par l’Union européenne, et par Paris en particulier, le projet se présente comme une alternative honteuse à son intégration. Une pilule dure à avaler.
Mais le projet d’Union méditerranéenne a l’avantage de ménager le Maroc, autre pays émergent en Méditerranée, et partenaire économique privilégié de l’Hexagone qui soupire à la porte occidentale de l’Europe.
Des enjeux cruciaux. Jusqu’alors, la politique européenne, centrée sur son élargissement à l’Est avait délaissé son flanc sud, pourtant bordé par sept de ses membres.
L’Union européenne avait lancé en 1995 le Processus de Barcelone (25 Etats européens + 10 pays du sud et de l’est de la Méditerranée). Mais, au bilan, les initiés de ce cadre institutionnel un peu léger ne peuvent que dénombrer douze années de dialogue poussif et vain, alors que tant d’enjeux incitent à l’action: l’immigration, la sécurité et la paix, les questions de pêche et d’environnement et, avant tout, la dangereuse marginalisation économique du sud de la Méditerranée.
Dès lors, la vision d’une Union méditerranéenne ressuscitée – et celui qui la porte – redonnait l’espoir au Sud en suggérant la nécessité de changer «des pratiques anciennes et des politiques désuètes», selon l’expression de Bichara Khader, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe à l’Université de Louvain (Diplomatie, mars-avril 2008). Restait à savoir ce qu’il en adviendrait.
Une belle idée ou juste un beau discours? Dès le début de son quinquennat, Sarkozy fait feu de tout bois et ses projets se télescopent. L’autre grande idée de sa politique étrangère est le «minitraité européen» ou «traité simplifié», destiné à relancer la machine, cassée en 2005 par le non des Français au Traité constitutionnel. C’est le paradoxe: les mêmes ont porté au pouvoir, deux ans plus tard, un homme élu sur la promesse de contourner le suffrage populaire pour faire approuver un texte de substitution par les parlements.Sitôt élu, Sarkozy se détourne donc de la Méditerranée et donne la priorité au minitraité, virevoltant d’une chancellerie à l’autre, bousculant son homologue allemande, Angela Merkel, pour promouvoir son idée, à la hussarde, à la Sarkozy.
Son approche cavalière aurait pu faire capoter le projet, mais Berlin – et les autres – ont mesuré l’enjeu. En octobre, le «traité simplifié» reçoit l’approbation du Conseil européen à Lisbonne et il est signé le 13 décembre par les Vingt-Sept. Seule l’Irlande soumettrait le texte au suffrage populaire.
Si les Irlandais avaient dit «oui» au Traité de Lisbonne le 12 juin, l’Elysée se ménageait un semestre royal à la présidence de l’Union. On aurait vu son hôte reprendre le flambeau d’une main ferme pour convaincre les derniers récalcitrants, Tchèques et Polonais, à voter «oui». Seulement voilà, l’Eire a dit «non» dans un contexte où l’unanimité est requise...
Par Michel Beuret - L'Hebdo Suisse - le 26 juin 2006

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